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Rencontres 6 : Philip-Lorca diCorcia

Scènes de la vie ordinaire, éclairées d’une lumière crue, qui paraissent iréelles tant elles sont figées. Une scénographie stylée et froide utilisée par DiCorcia pour ses photographies de mode comme pour son travail plastique.

— Éditeurs : Images modernes, Paris / Almine Rech éditions, Paris
— Collection : Rencontres
— Année : 2001
— Format : 24 x 17 cm
— Illustrations : nombreuses, en couleurs et en noir et blanc
— Pages : 31
— Langues : français, anglais
— ISBN : 2-913355-11-0
— Prix : non précisé

Œil à gages : Philip-Lorca diCorcia
par Jeff Rian (extrait, pp. 2 et 6)

Signatures Philip-Lorca diCorcia est connu pour ses tranches de vie et ses portraits dramatiquement éclairés, et aussi pour une version contemporaine du thème de la Vanitas. Une photographie datant de ses débuts — et une photo qui est une référence diCorcia — montre son frère contemplant l’intérieur du réfrigérateur. Une lumière maniériste émane des tripes du réfrigérateur, éclairant l’humeur nocturne du frère. Son immobilité, encore une signature de diCorcia, le montre distrait, à l’intérieur de luimême; peut-être est-il en train de calculer ses chances. C’étaient des portraits complexes, dans lesquels la mise en scène et l’éclairage prenaient une place aussi importante que le personnage. En 1990 il a commencé une série de photos de garçons qui faisaient le trottoir (il les rémunérait). Puis, au milieu des années 90, il a commencé Streetwork, se servant souvent d’éclairage stroboscopique, dehors, au milieu de la journée, afin que le passant ordinaire puisse être singularisé, sans qu’il ne remarque jamais le flash. Cependant, dans toute l’œuvre, des maniéristes tels Caravaggio ou Pontormo viennent à l’esprit — ou n’importe quel tableau dans lequel la lampe de l’Éternité éclaire le visage du personnage — ainsi que des gros plans d’Alfred Hitchcock et David Lynch. Mais l’éclairage théâtral de diCorcia fonctionne à la fois comme miroir réfléchissant et projecteur à faisceau concentré (pour emprunter la métaphore littéraire de M.H. Abrams), que ce soit en éclairant le regard d’un passant à la recherche d’un coupe-faim, ou rebondissant sur des visages qui ne regardent nulle part. Les personnages ne sont pas nécessairement frappés par une reconnaissance fatidique. En ce qui concerne le frère, l’âme interrogatrice réside dans l’estomac importun. Dans d’autres photos, des seconds rôles sont éclairés, surpris en train de déambuler en pensant à rien en particulier. Pourtant, autre chose que le visible est suggéré par l’immobilité gelée du flash, tellement immobile et silencieuse que le terme « nature morte » semble acquérir un sens nouveau.

(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions Images modernes)