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Rencontres 4 : John McCracken

Les « planches » colorées de John McCracken appartiennent à l’Art minimal. Elles sont le reflet des préoccupations de l’artiste sur l’espace et l’infini : objets de méditation, représentations symboliques et visions mentales à forte matérialité.

— Éditeur(s) : Paris, Éditions Images Modernes
— Année : 2000
— Format : 24 x 17 cm
— Illustrations : nombreuses, en couleurs
— Page(s) : 31
— Langue(s) : français, anglais
— ISBN : 2-913355-06-4
— Prix : 13,72 €

Extrait

L’Odyssée de l’espace, de l’Art minimal à l’OVNI
par Almine Rech

Au milieu des années 1960 apparaît aux États-Unis, l’Art minimal. L’art européen du début du siècle, les avant-gardes russes, le Bauhaus, l’Art concret des années 1930 en sont à l’origine, mais cette nouvelle attitude est essentiellement américaine et exprime un refus de la tradition occidentale, notamment, celui de l’illusionisme propre à la peinture, à l’œuvre en deux dimensions, refus de la référence anthropomorphique, du geste manuel, de la frontalité … Il s’agit de « specific objects » (terme de Don Judd et titre du recueil résumant ses écrits en 1965), de la chose en soi qui ne renvoie qu’à elle-même, d’un « art dont la force tiendrait de sa seule présence brute et qui imposerait le silence pour mieux agir physiquement et intellectuellement sur le spectateur » (extrait du livre Art Minimal & Conceptuel Ghislain Molllet-Viéville).

John McCracken, présent dès les premières expositions majeures d’Art minimal aux États-Unis, se situe cependant, de façon très particulière dans le contexte de ce mouvement.
Né en 1934, à Berkeley en Californie, sur la Côte Ouest où la création artistique était intense dans les années 1960, John McCracken est contemporain de James Turrell et Bob Irwin. Ces artistes ont en commun, notamment, leur expérience des grands espaces, désert, ou océan et se sont connus.

À la même époque à l’est des États-Unis, certainement moins en Californie, l’art et l’architecture européens de l’avant-guerre avaient laissé leur empreinte, et l’influence de certains artistes, de critiques vivants principalement à New York, s’y imposait fortement, (par exemple Don Judd, pour le groupe Minimal).
En partie du fait qu’il soit californien, John McCracken, que l’aspect fondamental de ses ceuvres rendait incontournable dès le début de l’Art minimal, a ouvert une voie qui lui est propre. Son œuvre emblématique est la « planche », « plank ». Ce premier objet dont la radicalité frappe encore aujourd’hui le public, était en bois laqué et poli. Elle se métamorphosa dans un second temps en un objet lisse, de couleur et brillant, réflectif; en trois dimensions, les bords (« edges ») ayant une épaisseur et la couleur couvrant toutes les surfaces de l’œuvre, tournant ainsi le dos à la notion de toile rectangulaire délimitée par des bords arbitraires ne s’y intégrant pas; elle est à la fois peinture et sculpture, appuyée contre le mur, elle abolit le socle. Cette œuvre est certainement prémonitoire et annonce avec une intuition et une efficacité imparables, une attitude en pleine évolution, aujourd’hui, dans notre société.

En effet, la notion de surf, de ’glisse’ est dans notre quotidien. On surfait sur l’eau avec une planche, on surfe sur le web, dans la ville, sur les montagnes…
Les supports des ceuvres sont très souvent lisses : photos laminées, vidéos, moniteurs, ou même invitent le spectateur à circuler dans l’œuvre.
Dans le domaine du design, ces mêmes qualités alors oniriques, qui caractérisent les meubles et objets des années 1960, un temps oubliées, apparaissent réactivées dans le traitement d’objets contemporains. Des ordinateurs aux créations de Marc Newson, par exemple, lui aussi venu de côtes océaniques. Au-delà du champ artistique, en occident, les évolutions, les changements sociaux aussi sont envisagés, rêvés, sans aspérités, dans la circulation, la négociation, l’intégration …

Composant avec la théorie Minimale dès le départ, John McCracken n’a jamais renié la sensibilité individuelle, la pratique manuelle de l’artiste, au profit de la fabrication industrielle justifiée par la pensée Minimale.
Il donne une grande importance à la couleur, faisant lui-même ses mélanges de pigments et résine, coulant la matière colorée sur ses ceuvres en bois, recouvertes de fibre de verre : planche, bloc, stèle, panneau … puis les polissant pour les rendre parfaitement lisses, réflectives.
L’idée de reflet a une place essentielle dans ses ceuvres, car elles englobent ainsi l’environnement, et le spectateur prend conscience de l’espace en même temps que de l’objet qu’il regarde. Alors apparaissent les notions de globalité de l’œuvre avec le monde, de sa participation et son adaptation immédiate aux changements de l’environnement, aux situations, à l’histoire.
Surf, glisse, globalité, évolution permanente, sont des mouvements contemporains, mentaux, comportementaux dans notre société.

Dès les années 1980, John McCracken utilise l’ordinateur pour dessiner, faire tourner, regarder sur toutes les faces ses études, les placer dans l’espace d’exposition, à distance, avant de se rendre sur les lieux. Cette attitude n’est ni anecdotique, ni seulement pratique, elle fait partie du concept de son ceuvre, des composantes qu’il lui donne afin qu’elle traverse le temps, l’espace, et apporte par sa présence l’expérience de sa clarté, la vision par l’œuvre, d’un infini, d’une possibilité de glisser vers un futur ouvert dans quelques lieux, ou contextes que ce soit.