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Remix II

06 Sep - 06 Oct 2012
Vernissage le 06 Sep 2012

Daido Moriyama, comme tout révolutionnaire, dérange. Avant d’être l’un des artistes les plus importants de l’après-guerre, il est activiste de toutes les causes comme en comptait beaucoup le Japon, à l’aube des années 70. Sa photographie, loin de tout académisme, critique le consumérisme et remet en question la nature même de la représentation.

Daido Moriyama
Remix II

Compagnon de nombreuses avant-gardes photographiques, de l’agence Vivo, sur le déclin, où il côtoie les maîtres Eikoh Hosoe — dont il deviendra l’assistant — et Shomei Tomatsu, il rejoint en 1969 l’éphémère magazine Provoke: aux côtés d’autres photographes et théoriciens, Takuma Nakahira, Takahiko Okada, Yutaka Takanashi, Koji Taki et Nobuyoshi Araki, il ne cessera d’expérimenter un nouveau langage visuel. Contestataires politiques au départ, ces photographes veulent dénoncer la course frénétique à la consommation d’un pays en pleine reconstruction qui n’en finit pas de panser les plaies de la défaite sous l’œil des Américains… Stray Dog, son emblématique photo de chien galeux méchant (1971) a été prise à Misawa, juste à côté d’une base américaine très active, pas si loin, géographiquement, du Vietnam en guerre.

Ils sont également en lutte contre une société très rigide où l’individu s’efface devant les masses, où l’entreprise se substitue à la famille et où la tradition cède à l’american way of life. Rappelons aussi que ces artistes sont tous nés peu avant la guerre — 1938 pour Daido Moriyama — et qu’ils ont connu le chaos des bombardements, les deux bombes nucléaires, et la défaite de l’empire. La photographie est le médium de leur crise d’identité personnelle et collective. Cette société de l’après-guerre et sa course à la modernité a transformé les villes, mais aussi la mentalité japonaise et son goût pour l’ombre.

Tout d’un coup la pudeur n’est plus une valeur morale: l’intimité des femmes s’exhibe à travers les images pornographiques, et s’affiche dans les rues. La télévision envahit l’espace familial, l’imagerie occidentale se développe dans les magazines et la publicité, venant heurter une civilisation jusqu’alors protectionniste et prude. Lors de ses promenades en images, Daido Moriyama déchiffre tous les signes, tout l’alphabet de la ville (métro, passages, foules, enseignes, affiches). Tokyo devient sous son objectif une métropole saturée de représentations. Comme Eugène Atget, sa plus grande influence aux côtés de William Klein et d’Andy Warhol, il capture ce qui va disparaître et se cherche à travers l’âme de la ville, à la manière d’un éternel flâneur. Daido Moriyama aime ce qui se dévoile petit à petit: entre le noir (caché) et le blanc (la lumière), il y a le gris. Araki disait de lui c’est un «grea(y)t photographer».

L’art de Daido Moriyama est loin, très loin de tout académisme: images floues, ratées, saturées, noir et blanc granuleux, amorces de films pouvant être un élément de l’image, cadrages aléatoires. Sa photographie, au-delà de la remise en question de la nature même de la représentation, devient une autobiographie, un mode d’expression au service d’expériences personnelles! Sa vie et sa photographie alternent entre dépression et toxicomanie, calme et violence, retrait de la vie publique et succès. Un perpétuel questionnement sur son art comme son livre Bye, Bye Photography, Dear (1972): «Ce livre est un questionnement sur les relations entre la photographie et le photographe, entre la photographie et l’histoire. Qui je suis quand je prends une photo? En vérité, avec le recul, je me demande si c’est vraiment un livre de photographies. J’en doute. C’est plutôt un brouillon de pulsions et d’idées.»

Daido Moriyama est un photographe en perpétuel mouvement, il est comme le passager d’une voiture folle qui photographie le paysage qui défile. Daido Moriyama est un photographe physique qui photographie plus avec son corps qu’avec ses yeux. C’est aussi un photographe d’atmosphère qui fait fi des conventions, un homme qui préfère l’humanité de l’instant. C’est enfin un artiste sans cesse sur le fil de la corde, en équilibre sur la ligne ténue où s’arrête le sujet et commence l’esprit. De ce perpétuel mouvement est tiré le titre: «Remix».

Car l’œuvre de Daido Moriyama n’est pas figée, loin de là! Sans cesse il se plonge dans ses contacts, retire inlassablement ses images, les recadre, les tire horizontalement ou verticalement pour arriver au format du moment; une image peut exister en noir et blanc et en couleur, de quoi se perdre dans le maelström de ses photos.
C’est aussi une réévaluation! Il veut épuiser son sujet jusqu’au bout — jusqu’à la mort? Comme un DJ, il réinterprète sans cesse sa photographie: le chien de Stray Dog peut regarder à droite ou à gauche, il a depuis longtemps oublié de quel côté regardait l’original. Son image de bas résilles existe en sept versions différentes, des séries sont sans cesse en évolution, les Cherry Blossoms apparaissent en 1972, puis en 1983 et 1987. Le livre New York a été publié en 2002 avec des images de 1971; une image de 1988 peut réapparaître dans un livre de 1993 avec un nouveau titre, qu’importe! Quand il ne revisite pas ses livres à chaque édition. Aujourd’hui il laisse aux autres le soin d’ordonner ses photographies (acte de confiance ou volonté suprême d’interprétation?), de puiser dans cette incroyable masse d’images et de sortir de l’ombre cette œuvre immense.

Patrick Remy

Vernissage
Jeudi 6 septembre 2012

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