ART | EXPO

Reliefs

12 Jan - 26 Fév 2011
Vernissage le 12 Jan 2011

Cette exposition accueille huit artistes qui s’emparent de matériaux alimentaires dans la réalisation de leurs oeuvres. Sel, sucre, thé, épices, lait, riz… deviennent les ingrédients d’un vocabulaire formel décliné par le geste.

Cécile Benoiton, Michel Blazy, Motoi Yamamoto, La Cellule, Myung-Ok Han, Laurent Mareschal, Marina Pirot, Armén Rotch
Reliefs

Cette exposition accueille huit artistes pour partie d’origine étrangère qui s’emparent de matériaux alimentaires dans la réalisation de leurs oeuvres. Sel, sucre, thé, épices, lait, riz… deviennent les ingrédients d’un vocabulaire formel décliné par le geste.

Au-delà de leur dimension nutritive, ils constituent une syntaxe imagée, outrepassant les frontières et interrogeant l’histoire et la culture de leurs pays. Vastes paysages, minutieux labyrinthes, ravines et rivières: la nourriture est ici envisagée d’un point de vue géo-graphique et traduit, dans une langue sensible et picturale, le territoire.

Les grands tableaux bistres d’Armén Rotch, entièrement recouverts de sachets de thé, dégagent une odeur intense. Les sachets deviennent touches, pixels, architectures et construisent, dans cette composition rythmée, d’infinies lignes d’horizon. S’y déclinent, selon leur temps d’infusion, les variations chromatiques d’un décor automnal.
Longue, minutieuse, répétitive, la collecte qu’Armén Rotch pratique depuis plus de vingt ans est une «cérémonie du thé» où le souffle de chacun (des buveurs) est réunit dans un même espace-temps. Ce lent processus de construction invite à la contemplation et au recueillement – autour d’un verre de thé, boisson universellement symbolique.

Autre geste, autre rythme: celui de Cécile Benoiton qui hache, taillade, incise, coupe et déchire. À travers des actions familières, elle s’empare des aliments et les détourne de leur usage convenu. Dans les dessins comme dans les vidéos, débordement et hystérie surgissent. L’accident, inévitable, arrive vite et rend la situation absurde voire effroyable. Le papier est percé, frotté, brûlé. Emmaillotée dans des éponges à récurer, l’une des sculptures forme un gros globe en limaille de fer ; une autre, embobinée en papier calque, est lacérée à coup de Dremel (polisseuse-perceuse).

Au milieu de ces comètes éprouvées, îlots fatigués et flottants, s’étale un grand planisphère gris dans lequel on retrouve l’énergie du geste circulaire: chaudron de graphite qui bouillonne de vie. Tel un pont, la Muraille de riz de Myung-ok Han marque ici, plus qu’elle ne sépare, un lien dans l’espace d’exposition. Collés les uns sur les autres, ces milliers de grains de riz forment une arrête de 4 mètres de long.
Translucide et fragile, elle apparaît comme un clin d’oeil poétique sur la violence des murs qui séparent, en Chine comme ailleurs, les peuples et les terres. Myung-Ok Han prend le temps, par ce geste infime, d’une réflexion sur les milliards de grains de riz que les asiatiques –notamment– ingurgitent en une vie, métaphore de nos habitudes et de notre fragilité intérieure.

Echo à cette ligne-frontière, La Plinthe de Michel Blazy, serpente au sol, le long du mur et invite à poursuivre la visite au sous-sol. Dans le coton gorgé d’eau pousse, chaque jour, les germes de lentilles, microcosme symbolique d’une vie hydroponique (culture hors-sol), «sans-terre».
Les préoccupations récurrentes du travail de Michel Blazy qui observe l’évolution périssable de l’organique, se développent dans cette germination au creux d’une terre ouatée: no man’s land artificiel.

Ruisselant d’une montagne sacrée, le sel de Motoi Yamamoto forme des milliers de ravines et crée un labyrinthe monumental. Autant de chemins de vie, doux, irritants, que le sel, dessine à-même le sol.
Avec une patience infinie (une semaine pour la création de cette oeuvre), Motoi réalise des installations in situ et éphémères, d’une grande fragilité. Le choix du matériau (le sel, purificateur, est utilisé, notamment, dans les funérailles au Japon), le geste et le temps nécessaire rappellent, telle une vanité, notre présence passagère sur Terre.

Un mur pleure du lait et forme une longue flaque aléatoire et vivante. Des îles naissent, dans l’évanescence et la blancheur des premiers jours. De nouveaux territoires apparaissent, chassant chaque jour les pays de la veille pour s’inventer un univers unique.
Marina Pirot revisite le principe du «all over» (recouvrement total de la surface de la toile par la peinture) en jouant de la bascule des plans: la «toile» devient sol, «peinte» par les coulées du mur qui perd sa fonction d’exposition. Par ce goutte-à-goutte d’une nourriture élémentaire, elle rend palpable la lenteur nécessaire à la construction d’une vie, jamais figée.

Autre recouvrement: le parterre d’épices de Laurent Mareschal. À l’aide d’un pochoir, il saupoudre avec minutie, gingembre, poivre, sumac, cumin et curcuma, exploitant le contraste de leurs teintes. Se dessinent, en trompe-l’oeil, les motifs des céramiques traditionnelles évocatrices des cuisines orientales.
Scindée par le mur de la cave, l’intimité de la pièce familiale est brisée. Cette installation, nommée Beiti («la maison» en hébreu), évoque les scissions territoriales, religieuses, particulièrement fortes au Proche-Orient, où Laurent Mareschal se rend souvent.

La machine aux couleurs BTP que le collectif La Cellule (emmanuelle Becquemin et stéphanie Sagot) a construit perce, telle la foreuse du géomètre, la croûte de ces micro-mondes, pour ramener à leur surface des montagnes de blanc en neige. Apparition d’une île (nuage de céleri sur limon de vodka-carotte !) fut consommée le soir du vernissage lors d’une performance dont on peut voir la trace dans l’exposition.

Affleurement des épices, îlot de lait, sillon de sel, muraille de riz, frontière de lentilles, rocher d’inox, colline de thé… se déclinent en une cartographie alimentaire et périssable. S’y articule un regard ethnographique et géopolitique à un moment où l’attention pour la cuisine n’a jamais été aussi forte, le gaspillage et les déséquilibres alimentaires planétaires jamais aussi grands et où le repas gastronomique des français fait son entrée dans le patrimoine de l’Unesco…

Autant d’éléments qui disent combien «le manger» est, à la table de la société contemporaine, un sujet majeur, habité de longue date par les artistes qui le détournent, le mastiquent, le digèrent, continuant ainsi, à lier l’art à la vie.

Dans cette exposition, la carte est dressée comme on dresse une nappe, héritage du «dis moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es», énoncé par Brillat-Savarin. Les reliefs de la table, indicateurs de pratiques alimentaires, font écho au relief géographique qui façonne la terre en imposant à l’homme son agriculture comme son identité.

Du minuscule de l’ingrédient au gigantisme d’une mappemonde, « Reliefs » joue des variations d’échelle et induit une approche aérienne des oeuvres, comme le vol d’un oiseau qui ferait fi des frontières.

AUTRES EVENEMENTS ART