ART | CRITIQUE

Réinstallations

PMuriel Denet
@31 Mai 2011

En parallèle à une grande exposition Mondrian — ce qui ne saurait être un hasard pour un artiste qui délaisse la figuration dès le début des années 50 —, François Morellet, 85 ans, ne sacrifie pas pour autant à une anthologie chronologique de son œuvre, soit une rétrospective en bonne et due forme, qui aurait, selon lui, «fait quelque peu macabre».

Au lieu d’anthologie chronologique de son Å“uvre, François Morellet préfère opter pour une démarche proche de celle qui présida à son exposition de 2007, au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, et qui consistait à refaire.

En 2007, ce sont ses petites toiles géométriques de 1952 qu’il fait agrandir, beaucoup, à l’acrylique, évacuant ainsi la sensualité de l’huile. Au Centre Pompidou, c’est au Grav qu’il choisit de rendre hommage. Le Groupe de recherche d’art visuel, fondé en 1961, voulait déstabiliser le spectateur. Cette fois, ce ne sont donc pas des tableaux que l’artiste refait, mais des installations, par nature éphémères, et tributaires de l’espace d’exposition, qu’il réinstalle.

Néons 0° – 45° – 90° – 135° avec 4 rythmes interférents, qui ouvre le parcours, clôturait le Labyrinthe du Grav, à la IIIe Biennale de Paris, en 1963. Dans une pièce noire, sur chacun des quatre murs, une vitrine contenant un alignement de néons parallèles, dont l’orientation varie de 45° de mur en mur, clignote par intermittence. Clin d’œil à la nouveauté publicitaire qui envahit les vitrines d’alors, et effet de persistance rétinienne garanti, il n’est pas certain que l’œuvre soit à regarder.

D’ailleurs, un peu plus loin, Rouge aveugle littéralement le spectateur, avant de virer au vert. Le mot inscrit en gros, et en rouge, est violemment flashé à chaque impulsion électrique que le spectateur veut bien déclencher, provoquant, au bout du compte, un effet de contraste simultané. La participation du spectateur, fût-elle aussi peu élaborée que de presser un bouton, est une façon pour Morellet de se délester de décisions arbitraires, «de limiter [sa] sensibilité d’Artiste».

Il en est d’autres. Ainsi, tout au long de l’exposition, les segments de droites et arcs de cercle, matérialisés en néon, au crayon, en ruban adhésif, acrylique ou morceaux de bois, perturbent la verticalité et l’orthogonalité de l’ordre architectural, suivant des principes dictés par le hasard ou les mathématiques. L’œuvre de Morellet se révèle aujourd’hui à la fois prémonitoire, et ancrée dans la tradition de l’avant-garde.

Si l’art minimal semble annoncé par la rigueur géométrique des combinaisons de néons, se profile déjà l’art conceptuel quand les agencements des traits lumineux sont abandonnés à des combinaisons mathématiques: ainsi de π rococo, dont les arcs de cercles de néon bleu s’envolent sur les cimaises en boucles et enjambements induits par la suite des chiffres composant le nombre π. L’art pauvre n’est pas loin non plus avec ces poutres de bois brut qui viennent matérialiser dans l’espace des formes géométriques naissantes au crayon sur les murs, à moins que ce ne soit l’inverse.

Mais la dimension aléatoire de l’œuvre (les allumages/extinctions des néons, ou la distribution de pixels bleus et rouges selon les numéros téléphoniques d’un annuaire) évoque tout autant la désinvolture iconoclaste dada. De même ces clins d’œil irrévérencieux aux maîtres du passé: un ventilateur qui fait se gondoler La Joconde, au passage des spectateurs, salue Duchamp autant que de Vinci; Picasso et Delacroix, défigurés, sont réduits à des toiles d’un blanc virginal, au format du portrait traditionnel, épousant exactement les visages des Demoiselles d’Avignon et des protagonistes exaltés de La Mort de Sardanapale; ou encore, le carré noir de Malevitch, réduit et percé dans le mur des cimaises, s’inscrit dans un carré blanc bancal.

Au bout de l’allée centrale, illuminée des diverses installations de néons qui semblent avoir été jetés aux murs et aux sols tels des jeux de mikado, l’exposition se termine par une Avalanche de néons à la beauté glaciale. Et la sortie se fait par une porte dont le cadre est redoublé par un cerne au ruban adhésif noir basculé de 5°. Lumière, hasard, décentrement et bascule, Morellet dessille les regards avec un humour et une légèreté qui conserve toute sa vigueur à une œuvre dont la sobriété des moyens le dispute avec élégance à un ludisme sans prétention.

Les Å“uvres
— François Morellet, 2 trames de parallèles inclinées à 30° et 40° sur 3 murs, 1977-2009. Ruban adhésif; installation in situ. Dimensions variables
— François Morellet, Néons 0°-45°-90°-135° avec 4 rythmes interférents, 1963-2011. Tubes de néon blancs sur panneaux métalliques, système
électrique avec clignoteur. 120 °— 120 cm (chaque panneau)
— François Morellet, Répartition aléatoire de 40 000 carrés suivant les chiffres pairs et impairs d’un annuaire de téléphone, 50 % bleu, 50 % rouge, 1963. Papier mural sérigraphié, ampoule électrique. Dimensions variables
— François Morellet, Rouge, 1964. Film adhésif, flash électronique, bouton-poussoir. Dimensions variables
— François Morellet, La Joconde déformée, 1964. Drap, ventilateur, diapositive, appareil de projection. Dimensions variables
— François Morellet, Reflets dans l’eau déformés par le spectateur, 1964. Bois, contreplaqué, tubes de néon blancs, bac métallique, eau, système mécanique manuel. 240 °— 108 °— 108 cm
— François Morellet, Arc de cercle sur 3 murs, 2011. Ruban adhésif sur mur; installation in situ. Dimensions variables
— François Morellet, 2 trames de tirets 0°-90° avec participation du spectateur, 1971. Tubes de néon blancs, commutateur. Dimensions variables
— François Morellet, 2 trames 45°-135° de néons interférents, 1972. Cabane en bois, tubes de néon rouges, 2 clignoteurs électroniques, commutateur. 360 °— 360 °— 360 cm
— François Morellet, Structure infinie de tétraèdres limitée par les murs, sol, plafond d’une pièce, 1971. Tubes en aluminium. Dimensions variables
— François Morellet, Strip-teasing, 2009. Peinture, crayon gras; installation in situ. Dimensions variables
— François Morellet, 4 trames en dessin et en relief, 1981. Poutres en bois, crayon gras. Dimensions variables
— François Morellet, Picasso défiguré (Les Demoiselles d’Avignon), 2011. Peinture acrylique sur 5 toiles 30 Figure, 250 °— 350 cm
— François Morellet, Delacroix défiguré (La Mort de Sardanapale), 1989. Peinture acrylique sur 15 toiles 30 Figure, 410 °— 800 cm
— François Morellet, Géométree no 5, Arcs de cercle complémentaires, 1983. Bois, crayon gras. Dimensions variables
— François Morellet, Géométree no 93, 1985. Bois, ruban adhésif, 300 °— 5 cm
— François Morellet, π Weeping Neonly no 3, 2003. 24 tubes de néon blancs, fils haute tension blancs. Dimensions variables
— François Morellet, Neons by Accident, 2003. 16 arcs de cercle de tubes de néon rouges sur les murs et le sol. Dimensions variables
— François Morellet, No End Neon, 1990. Tubes de néon bleus disposés en quinconce sur 3 murs et le sol. Dimensions variables
— François Morellet, Papier 2,5°-92,5°, trou (carré) 0°-90°, 1981. Papier cartonné, trou dans la cloison. 21 °— 21 cm (papier); 2 °— 2 cm (trou)
— François Morellet, π rococo n° 22, 1 = 10°, 1997-2008. Quarts de cercle de tubes de néon bleus. Dimensions variables
— François Morellet, 4 angles droits composés de 2 poutres coupées d’onglet et de 2 lignes au mur, 1982. Poutres en bois, crayon gras. Dimensions variables
— François Morellet, L’Avalanche, 1996. 36 tubes de néon bleus, fils haute tension blancs. 400 x 400 cm
— François Morellet, Carré à demi libéré no 1, 1990. Poutres en bois, crayon gras. 310 °— 250 °— 12 cm
— François Morellet, Superposition d’une surface exposable avec cette même surface basculée à 5°,1977-2011. Ruban adhésif; installation in situ. Dimensions variables
— François Morellet, Plus ou moins, 1975-2011. Acier. Dimensions variables

Publications
François Morellet, Réinstallations, catalogue d’exposition, sous la direction de Serge Lemoine et d’Alfred Pacquement, Ed. Centre Pompidou, 2011.

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