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Région Ile-de-France: «Démocratie culturelle» bananière

PAndré Rouillé

A quelques mois des élections présidentielles les états-majors politiques s’activent à sceller des alliances, à boucler leur programme, à parachever leurs arguments, à ciseler leur discours. Chacun des challengers s’apprête à présenter aux citoyens son «grand récit» sur la meilleure façon d’assurer un avenir radieux à une France en bien mauvaise posture.
Devant tant de paroles pleines d’assurance et de solutions miracles, les citoyens restent de plus en plus dubitatifs, trop souvent échaudés par l’écart immense qui sépare les discours et les actes, l’avant et l’après des élections. Aussi mesurent-ils les discours des candidats à l’aune de la réalité concrète et de leurs propres expériences.
Le fait politique majeur d’aujourd’hui est peut-être cela que les citoyens ne croient plus les élus sur parole, mais les jugent sur leurs actes — tous bords politiques confondus…
Ce grand écart entre les mots et les faits, entre les programmes et la réalité des actions, entre les beaux principes et les mauvaises pratiques, nous l’avons expérimenté, à l’association parisART, avec le grand ordonnateur, pourtant communiste, des fameuses «Assises régionales pour la Démocratie culturelle» : M. Francis Parny

, vice-Président du Conseil régional Ile-de-France chargé de la «Culture et des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication».

La Région Ile-de-France annonce des accroissements mirobolants de son budget de la culture, a subventionné en 2006 des associations culturelles à hauteur de 782 000 euros, ne manque aucune occasion pour réaffirmer son intérêt pour internet et les réseaux.
Or, M. Parny vient de refuser une subvention à l’association à but non lucratif parisART, qui produit et réalise depuis quatre ans et demi le site internet paris-art.com, grâce à l’action assidue de quarante bénévoles.
Nos demandes antérieures, tout comme nos propositions de partenariat, n’avaient, elles, pas même été gratifiées d’une réponse, ni du moindre accusé-réception…

La Région n’a donc jamais versé un seul euro au premier site internet (associatif) francophone consacré à l’art contemporain et à la photographie — à Paris et en Ile-de-France. Pire, elle a pris le parti de totalement l’ignorer.
Curieuse attitude qui n’est heureusement pas celle de la Ville de Paris et de la Drac Ile-de-France.

Questions
— Pourquoi cet acharnement dans le refus?
— Pourquoi cette ignorance systématique du premier site internet francophone sur l’art contemporain et la photographie alors qu’il se situe à l’exacte intersection du domaine de compétences du vice-Président du Conseil régional Ile-de-France chargé de la «Culture et des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication» ?
— Pourquoi ce choix délibéré de mettre en danger une action à la fois unique, entièrement associative et bénévole, totalement démocratique, gratuite et pédagogique, largement reconnue par le public (notamment francilien) : 550 000 pages sont consultées chaque mois, 10 000 textes et 12000 images ?
— Pourquoi cette ignorance et ce mépris obstinés vis-à-vis d’une action qui a amplement fait ses preuves mais qui, entièrement associative et bénévole, est d’une extrême fragilité ?
Mystère…

Aucune réponse n’ayant été apportée à nos demandes d’explication, nous considérons que ce mystère, par son ampleur, dépasse de loin le cas de parisART. Il pose des questions sur le fonctionnement du service de la culture de la Région Ile-de-France, et sur la démocratie. Autant de raisons pour qu’il soit largement partagé, discuté et élucidé. Voire sanctionné par les électeurs…

Sur la forme
Sur la forme, parisART n’a jamais reçu la moindre réponse — par téléphone, par mail ou par la poste — à ses courriers. Envoyer un dossier à la Région, c’est comme jeter une bouteille à la mer : aucun accusé de réception, aucun numéro d’enregistrement ni indication du service dans lequel il sera traité, aucune communication des résultats et des conditions de l’examen du dossier. Le black out total.
Et ce triste sort n’est pas réservé à parisART, si l’on en croit de nombreux responsables d’organismes qui ont affaire au service de la culture de la Région Ile-de-France.

Considérant que ce type de fonctionnement est inadmissible par son archaï;sme, son amateurisme, son mépris, son caractère anti-démocratique, et qu’il est l’envers absolu des discours de M. Parny sur la «Démocratie culturelle», nous avons en cette année 2006 fortement insisté pour au moins recevoir une réponse officielle à notre demande de subvention. Elle est finalement arrivée, aussi explicite que lacunaire : «Vous avez sollicité le soutien de la région Ile-de-France pour le site internet de l’association parisART. Votre dossier a fait l’objet d’une étude par la Région, cependant malgré l’intérêt de votre projet, je suis au regret de vous informer que celui-ci n’a pas pu être retenu».
Évidemment sans autres explications ni précisions.

Puisque qu’il était nettement indiqué que le dossier avait «fait l’objet d’une étude par la Région», nous avons alors demandé à avoir communication du rapport de l’étude, à connaître les conditions dans lesquelles la décision avait été prise, et à disposer du compte rendu de l’éventuelle délibération dont elle aurait fait l’objet.
Réponse par mail (citation): «En fait d’étude, il s’agit d’une instruction de votre dossier par le service et comme l’ensemble des dossiers qui nous sont présentés».
Point final.

En clair : ce qui était officiellement présenté comme une «étude par la Région» s’avère en fait être une simple «instruction dans le service» sur laquelle il est totalement impossible d’obtenir la moindre information…
Autrement dit, les dossiers soumis au vote démocratique des élus de l’assemblée régionale font l’objet d’une sélection préalable «dans le service», totalement secrète et sans aucun contrôle.
Bien maigre garantie contre l’arbitraire, le clientélisme et les petites et grandes magouilles. Bien illusoire démocratie régionale qui s’exerce sur des propositions élaborées sans contrôle dans le secret des services, c’est-à-dire entachées des risques d’arbitraire.

On est là plus proche des «républiques bananières», ou des régimes staliniens, que de l’idyllique «Démocratie culturelle» dont le vice-président (communiste) Francis Parny aime à louer les vertus. Comme si l’étendard de la «Démocratie culturelle» servait à recouvrir la réalité des pratiques.

Au-delà de leur singularité, les éléments ci-dessus décrivent un fonctionnement général plus qu’une situation particulière. Ils traduisent un grave déficit démocratique, et cela de la part d’élus et responsables politiques qui prétendent incarner une alternative à la politique actuelle.
Est-il besoin de rappeler que la démocratie, c’est d’abord le respect d’un ensemble de procédures : 1° la transparence dans les modes de décision ; 2° la justification des décisions prises ; 3° la possibilité d’en contester le bien-fondé et de faire appel.
Tout ce que, manifestement, M. Parny semble ignorer, en tout cas ne pas mettre en Å“uvre dans ses services.

Sur le fond
Au-delà de ces pratiques monarchiques de pouvoir, l’expérience de parisART met en lumière chez M. Parny une totale incompréhension du rôle d’internet dans la diffusion et la démocratisation de la culture et de l’art d’aujourd’hui.

Compte tenu de la place de leader dans son doma ine du site paris-art.com, et de son positionnement à l’intersection de la culture et des réseaux numériques, n’était-il pas du DEVOIR du responsable régional chargé de la «Culture et des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication» de prendre en considération nos propositions de collaboration, nos offres de partenariat avec la Région, nos suggestions de mettre notre potentiel unique de diffusion au service de l’art et de la culture en Ile-de-France ?
Tout responsable soucieux de mener à bien sa mission aurait au moins esquissé un dialogue, envisagé des solutions, examiné l’intérêt de la Région. M. Parny n’a rien fait de tout cela. Pourquoi? Mépris? incompétence? Indifférence?
Dans le monde de l’entreprise, cela friserait la faute professionnelle !

Compte tenu également des valeurs qui sont au cœur de l’action de l’association parisART — la gratuité, le partage du savoir, l’accès (démocratique!) à la culture pour tous, etc. —, n’était-il pas du DEVOIR du vice-président du Conseil régional, fervent adepte de la «Démocratie culturelle», non seulement de nous répondre, mais de nous contacter ?
Au lieu de fermeture et de rigidité bureaucratique, il aurait ainsi fait preuve d’ouverture, de dynamisme et de cette capacité à reconnaître ceux qui vont dans son sens. Il aurait tout simplement fait son boulot…

Précisions
Pour être totalement précis, il faut signaler que M. Parny a adressé à parisART plusieurs mails depuis l’adresse électronique dont il dispose sur le serveur de la Région (suffixe «iledefrance.fr»). Non pas pour répondre aux courriers que parisART lui avait adressés, mais pour nous inviter à assister à des réunions organisées par le Parti communiste, à soutenir Marie-George Buffet, ou à signer des pétitions contre la politique culturelle de la droite.
Autrement dit, M. Parny n’utilise pas (au moins avec parisART) son mail de fonction dans le cadre de ses responsabilités au Conseil régional, mais au service de son action politique au sein du Parti communiste. C’est sans doute un détail. Peu de chose en effet.
Mais le diable se loge dans les détails! On ne veut pas imaginer que d’autres ressources du Conseil régional ont pu être ainsi mobilisées au service du Parti communiste…
En tout cas, cela est révélateur d’une pratique.

Les convictions politiques de M. Parny sont certes légitimes et respectables. Mais le sont moins ses façons de manifestement privilégier la politique politicienne et ses intérêts de parti au détriment des domaines dont la charge lui a été confiée : «Culture et Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication».

L’art, la culture, et le pays, ont besoin d’ouverture et de vraie démocratie, de compétences et de pratiques nouvelles de gouvernance. L’envers absolu de l’image que donne M. Parny de la politique.
Ce n’est pas cette fausse gauche archaï;que briseuse de rêves qui construira l’avenir et fera vaciller la droite libérale…

M. Parny parle de la «Démocratie culturelle», parisART la pratique: sans lui, mais avec (beaucoup) d’autres…

André Rouillé

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Valérie Jouve, Sans titre, série «Les Façades», 2006. C-Print. 80 x 100 cm. Courtesy galerie Xippas, Paris.

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