ART | CRITIQUE

Regarde

PEmmanuel Posnic
@04 Avr 2011

Jimmie Durham revient à la galerie Michel Rein avec Regarde, une pièce monumentale créée pour la Biennale de Lyon en 2009. Au-delà de l'injonction, l'œuvre de l'artiste américain déploie une énergie critique beaucoup plus subtile qu'il n'y paraît.

Quinze jours seulement. Jimmie Durham ne fait que passer à la galerie Michel Rein. Habitué des lieux, deux expositions monographiques à son actif depuis 2004, l’Américain présente Regarde, une pièce monumentale faite d’un échafaudage supportant dans ses angles de petites caméras de surveillance. Une dizaine de caméras que l’on imagine épiant les moindres gestes des spectateurs qui déambulent à côté, entre et sous la structure en aluminium. Rien ne peut leur échapper puisqu’à plusieurs elles balaient un très large périmètre d’action. Y a-t-il seulement quelque chose à protéger? L’échafaudage est-il ce sanctuaire à surveiller, n’est-il pas simplement le portant neutre de ces caméras?

Avec Regarde, Jimmie Durham agite cette ambigüité. Entre objet fonctionnel et, déposé dans le contexte de la galerie, usage totalement vain, l’«échafaudage» de Durham nous interroge sur le bien-fondé de cette surprotection par l’image.

Cette surprotection, qu’engendre-t-elle? Avant tout un désir de sur-précaution, que les sociétés occidentales assument aujourd’hui sans complexe. La rhétorique de la prévention des risques conduit même l’«observé» à admettre l’utilité du dispositif visant à compromettre sa liberté individuelle. Ces caméras ne sont-elles pas installées pour sécuriser les villes et répondre au «sentiment d’insécurité»?
Une situation quasi schizophrène sur laquelle Jimmie Durham, en incurable observateur du politique, fixe son attention. Avec Regarde, il décrit en réalité les reliefs de l’autoritarisme, dispensé par l’État ou tout autre forme de pouvoir. Un autoritarisme qui avance masqué, se parant de bonnes intentions et cherchant à gagner les esprits en prêchant le risque imminent et la dislocation de l’intangible «vivre ensemble».

La violence sourde et perverse de cette installation est d’autant plus glaçante que sa structure en échafaudage semble fragile et éphémère, comme l’évidence d’un danger proche sur lequel nous n’avons pas de prise.
Mais c’est aussi par cette fragilité affichée, symboliquement celle d’un château de cartes aux fondations incertaines, que nous comprenons toute la vacuité de la superposition dramatique, cette mécanique de la peur que l’on nous sert pour maintenir intact le terreau du collectif.

Jimmie Durham ne nous laisse pas en dehors de sa démonstration. Au contraire, c’est en spectateur informé de la supercherie que nous défilons sous l’Å“il intrusif des caméras. L’artiste n’a d’ailleurs pas même cherché à les dissimuler.

Il aurait par conséquent été facile d’opposer à Durham la grossièreté du trait et le simplisme de l’analyse. Mais à l’évidence, la véritable interpellation du spectateur commence là où l’installation s’arrête, quand derrière cet arbre se cache la forêt de nos certitudes ou ce que l’on prend pour des certitudes. Sommes-nous réellement armés pour lutter contre le potentiel autoritaire de l’image et sa capacité à diriger la vérité des faits? La profusion médiatique nous rappelle tous les jours à quel point ces certitudes sont vacillantes.
Voilà bien la véritable raison d’être de Regarde: prendre le spectateur à son propre jeu. C’est éminemment plus subtil.

— Regarde, 2011. Echafaudages et caméras de surveillance.

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