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Réflexion…(s)…

PLaurent Perbos
@12 Jan 2008

On déambule sur le sol glissant, jonché de poudre de café, d’une salle dont l’ombre n’est trouée que par quelques lampes. L’artiste brésilien Artur Barrio sollicite tous nos sens : l’ouïe, l’odorat, le toucher, le goût et la vue. Les substances pauvres et coûteuses se répondent, alliant pérennité et éphémère.

Une odeur de café perce les murs et se répand sur le seuil de la salle investie par Artur Barrio. La poudre brune dispersée au sol par les nombreuses allées et venues, et les paillassons situés à l’entrée nous indiquent l’antre dans laquelle nous allons pénétrer.

Réflexion…(s)… résonne comme une injonction. L’artiste nous place dés le départ dans une posture active. Il s’agit tout d’abord de se projeter physiquement dans l’espace et de participer à son élaboration.

Notre déambulation est conditionnée de toute part. L’obscurité qui règne dans la pièce est ponctuée ça et là par des ampoules vagabondes que l’on peut déplacer à sa guise. On découvre alors différents objets plus ou moins précieux posés là, en attente d’une rencontre, d’une attention particulière.
Une accumulation de bouteilles de vin entre en écho avec les monticules de miches de pain, ou avec un amas de particules dorées mis en lumière — substance naturelle et rare sécrétée par des chenilles. Les fausses fourrures jetées sur des fauteuils et canapés de fortune parodient l’idée de luxe.

Le sol extrêmement glissant, couvert d’une épaisse couche de café, nous oblige à prendre des précautions pour avancer. Les traces des pas des visiteurs précédents nous donnent quelques repères face aux endroits les plus risqués.

L’amertume du parfum qui imprègne l’installation sollicite instantanément notre odorat. Un pain coupé sur la moitié est accroché au mur. Sa forme qui rappelle celle de poumons renforce l’idée de respiration fortement sollicitée, ce que confirme l’inscription «Pulmoés».
L’odeur fournit aussi une indication sur l’auteur de l’oeuvre. Le café employé ici provient du pays vers lequel Artur Barrio, portugais d’origine, a émigré : il vit maintenant à Rio de Janeiro. Sous la dictature brésilienne, il s’est fait remarquer à de multiples reprises pour ses actions triviales utilisant des détritus, de la boue sanglante ou du papier toilette disséminé dans la ville.

L’installation présentée ici ne retient du passé que le chaos mis en scène et les vibrations sonores des multiples interventions de l’artiste. La soufflerie qui ronronne au-dessus de nos têtes brasse l’air devenu chaud et étouffant et nous inscrit encore davantage physiquement dans l’oeuvre.
Des percées violemment opérées à la masse sur les parois laissent apparaître les «entrailles» du bâtiment. Souillures et écritures s’étalent sur les murs comme les stigmates spatiaux et temporels. Les dates et les heures inscrites au marqueur permettent de reconstituer les phases de la construction de l’environnement par l’artiste.

Artur Barrio sollicite tous nos sens : l’ouïe, l’odorat, le toucher, le goût et la vue. Les substances pauvres et coûteuses se répondent, alliant pérennité et éphémère. Nous sommes confrontés à une double lecture du temps, qui se dédouble et s’unit à nouveau pour créer un instant particulier.
De part l’interactivité qu’elle propose, l’oeuvre est en perpétuel devenir. Réflexion…(s)… est ainsi à entendre au sens propre. L’artiste s’interroge sur la mémoire, le passage du temps, sur ce qui perdure et ce qui disparaît. L’incertitude et l’instabilité des choses sont mises en scène dans un environnement que l’on est invité à expérimenter profondément et de manière plus intrinsèque.

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