ART | CRITIQUE

Réalité abstraite

PPaul Brannac
@30 Oct 2009

Albert Oehlen est un sagouin. Cela veut dire: quand il peint, il peint comme un malpropre. Et ce n’est guère étonnant lorsque l’on sait ses goûts musicaux: le groupe de métal «Nasty Savage» (sale sauvage) dont un titre donne celui de l’exposition. Mais, comme toute rock star, c’est un sagouin qui a la cote.

Les dessins d’Albert Oehlen empruntent aux lignes libres de Paul Klee, aux griffures de Kandinsky; ses juxtapositions abstraites rappellent les batifolages surréalistes. Ces références ne nuisent pas à leur originalité, l’artiste dépasse élégamment les cadres du noir et blanc, adoucit les contrastes par quelques gris qu’il traite justement au lavis, y découvre des demi-tons de bleu. Les séries évoquent une obsession sincère: trouver le beau dans de petites compositions, développer des harmonies d’encres, en abstrait.

Et puis cela se gâte lorsqu’il passe à la peinture en même temps qu’il esquisse un programme tout en se repliant sur sa joie de peindre, pesante multiplicité des intentions. Réalité abstraite, comme titre, tient du paradoxe mou, de l’oxymore éculé qu’est sensée justifier la présence sur la toile d’affiches marouflées et de gestes proprement picturaux: sa main cherchant le beau dans la couleur, son œil voyant le laid dans la photographie contrecollée; la contradiction formelle soutenant l’opposition conceptuelle.

Face à ces compositions, on est contraint de revenir à des évidences: le banal guette — et happe — celui qui cherche l’original. Les grands formats, mode qui est aujourd’hui une telle norme qu’il suffirait à un artiste de peindre de petites surfaces, de refaire Meissonnier, pour susciter une avant-garde, ne font que rendre plus évident l’échec de l’entreprise.

Entre-temps, tous les gestes du pinceau auront été éprouvés, dans leur spontanéité comme dans leur critique: le brossé — le rehaut du brossé; le jeté — la finition du jeté; la coulure, la reprise de la coulure. Dire que cela est bâclé serait un mauvais reproche, c’est cette seconde pensée, celle qui amende le fait, qui fait le plus de tort à sa peinture.

En dépit de généreux effets de couleur et de quelques nœuds énergiques qui démontrent ses capacités, c’est lorsque la palette d’Oehlen se restreint, comme dans Old Man Driver (2009), que ses traits semblent véritablement libres. En considérant d’un œil plaisant le rendu, l’artiste semble s’être amusé, ce qui est assez rare aujourd’hui pour être loué. Mais le contraste entre ses petits formats et les grands demeure évident. Ou bien cet homme ignore l’angoisse, ou bien il la réserve à ses dessins. Dans les deux cas, le combat est quelque peu surfait, l’effet nuit à l’audace et c’est le drame, comme ailleurs le peuple, qui finit par manquer.

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