ART | CRITIQUE

Ratiocination

PEmmanuel Posnic
@07 Juin 2008

Rien ne se crée, tout se transforme. Une devise vieille comme le monde que Raphaël Zarka réactualise au contact des zones suburbaines et des salles d’exposition, là où le débat nature contre culture revit une seconde jeunesse.

Raphaël Zarka n’a pas l’intention d’accroître le domaine de l’art. Ses photographies et installations reprennent des éléments existants depuis de lourdes infrastructures en béton jusqu’aux plus singuliers des mobiliers urbains. Les voici rongés par la végétation, rendus invisibles par l’oubli, épaves parmi d’autres et témoins reclus de l’intervention humaine dans l’espace public: ce sont pour Raphaël Zarka Les Formes du repos, celles pour lequel les regards, les attentions et les intentions ont pris congés.

Le travail de Raphaël Zarka consiste justement à révéler ces objets en les isolant dans sa focale, ce qui les fait glisser immanquablement dans le bain bouillonnant de l’art. La sculpture moderniste n’est dès lors plus très loin. Et Raphaël Zarka pousse l’ambiguïté au maximum. Lorsqu’il filme de jeunes skaters virevoltant sur une sculpture publique de Kobro ou lorsqu’il déplace deux madriers simplement striés, de la menuiserie jusqu’à l’espace de la galerie.
Dans tous les cas, il s’agit d’encercler la nature pour arborer le geste culturel. De reverser ces objets du réel et surtout leurs utilisations pratiques ou profanes dans le champ de l’art.

Pas de méthode pourtant chez lui, pas d’examen typologique comme avaient pu l’exercer Berndt et Hilla Becher sur les infrastructures industrielles en Europe. Sa collection un peu boiteuse et iconoclaste n’est régit que par l’empirisme de ses déambulations et le flottement de sa quête.
«Ratiociner» disait Edgar Allan Poe pour désigner une forme aiguë de recherche mêlant l’écriture et l’enquête. La ratiocination de Raphaël Zarka use du terme jusqu’à le déformer, jusqu’à opposer à l’hyper-rationalisation son double incurable, l’imitation et la réplique pseudo-scientifique.

Le Studiolo en exprime l’une des facettes. Raphaël Zarka reproduit le cabinet de Saint-Jérôme tel qu’ Antonio da Messina l’avait lui-même imaginé dans sa peinture. Stylisée mais totalement fidèle au modèle, la maquette fonctionne comme un prolongement fantasmé du tableau. En intervenant a posteriori (en postproduction comme le dirait Nicolas Bourriaud), Raphaël Zarka interprète l’interprétation, c’est-à-dire qu’il déplace les termes de la création en lui assignant un rôle de re-traduction du phénomène. Avec cette constante: osciller entre le minimalisme de l’intention et la matérialisation souvent monumentale de l’expérience.

La réplique du Rhombicuboctaèdres de Galilée ou ailleurs la reprise d’une sculpture circulaire d’Iran Do Espirito Santo (Tautochrone) questionnent une nouvelle fois la notion friable de «création» (Pourquoi refaire ce qui a été fait? Doit-on préserver la notion d’originalité pour identifier le processus de réalisation de l’œuvre?).
Mais elles touchent également une face complémentaire de son travail, quand l’assise ferme du bloc de Galilée laisse place à son double mobile fixé sur son flanc ; quand le socle en bois et marbre se trouve amputé d’un disque posé de manière aléatoire contre le mur, à proximité. Dans l’immobilité solennel de l’objet et dans la forme définitive ou fantasmée qu’il prend, Raphaël Zarka recherche la rupture de l’équilibre parfait, l’accident par le mouvement.

Un mouvement purement théorique comme celui qui lui permet, par le prisme de la photographie, de « déplacer » des formes célibataires délaissées dans la nature. Ou un mouvement plus concret, bien qu’il reste potentiel, celui évoqué par l’objet posé dans les salles (Les Ptolémaïques) ou sur les tirages photographiques (les objets du Musée de l’Histoire de la physique de l’Université de Padoue).
Le présent de l’exposition réunit toutes ces tensions déployées autour de la mobilité. C’est ainsi que les formes du passé surgissent au milieu de leur requalification profane. Et inversement. Avec Raphaël Zarka, la valeur n’attend pas le nombre des années.

Raphaël Zarka
— Les Formes du repos #8 (tétraèdres), 2003. Photographie. 70 x 100 cm
— Les Formes du repos #9 (Half-pipe), 2006. Photographie. 70 x 100 cm
— Chladni (Musée de l’Histoire de la physique de l’Université de Padoue), 2007. Photographie. 52 x 72 cm
— Tautochrone (Réplique #3), 2007. Contreplaqué et marbre de Carrare. 130 x 30 x 70 cm
— Rhombicuboctaèdres (Réplique #1) Version 2, 2007. Bois. 145 x 145 x 290 cm
— Terre Magnétique (Musée de l’Histoire de la physique de l’Université de Padoue), 2007. Photographie. 52 x 72 cm
— Ptolémaïques (collection de bilboquets), 2008. Bois.
— Forme déduite #1, 2007. Contreplaqué et marbre de Carrare. 100 x 100 x 8 cm
— Studiolo, 2008. Contreplaqué.

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