ART | CRITIQUE

Raphaël Zarka

PSusana Dobal
@18 Déc 2013

Raphaël Zarka a longtemps relié sa pratique du skate avec son expérience de sculpteur. A Sérignan, il s’éloigne du skate, mais pas du mouvement dont il explore le dynamisme immobile en combinant des pièces de bois dans une série de sculptures, ou en déplaçant une même structure d’un espace à un autre pour lui conférer d’autres sens.

Dans son travail antérieur Raphäel Zarka reliait sa pratique du skate à son expérience de sculpteur. L’objet en sculpture était abordé comme l’obstacle en skate, dans la perspective du mouvement potentiel. Si une sorte de danse réglait la force du corps pour que le skateur pût interagir avec l’obstacle, le sculpteur devait pour sa part déchiffrer les tensions propres à son matériau afin d’engager avec lui une sorte de danse statique.

Au Musée Régional d’Art Contemporain Languedoc-Roussillon, à Sérignan, l’artiste s’éloigne du skate, mais pas du mouvement dont il explore le dynamisme immobile en combinant des pièces de bois dans une série de sculptures, ou en déplaçant une même structure d’un espace à un autre pour lui donner d’autres sens.

Dans la vaste salle du rez-de-chaussée, l’ensemble intitulé Les Prismatiques se compose de vingt-quatre pièces de bois posées chacune sur d’identiques socles, soigneusement disposées selon des lignes parallèles. Chaque pièce est un prisme composé de coins de bois assemblés, aux bords parfaitement jointifs formant des lignes droites verticales, horizontales ou obliques, qui créent un mouvement statique bidimensionnel, accentué par les déclinaisons de ce principe formel d’une pièce à l’autre de la distribution des pièces dans la salle. Les Prismatiques sont comme des éventails qui, chaque fois qu’on les ouvre, révèlent une forme abstraite différente.

Inspirés des clefs de châssis disposées au dos des tableaux pour en tendre la toile, les coins de chêne sont des tenseurs que Raphaël Zarka a déclinés en vingt-quatre combinaisons différentes, vingt-quatre sculptures dont le support également en chêne est surmonté d’une fine plaque de ciment. Par delà l’immobilité des œuvres et l’uniformité de leurs éléments de chêne, l’ensemble forme une chorégraphie des éléments de bois brut sur une mince couche de ciment.

Exposée au lycée de Sérignan, une autre œuvre de Raphaël Zarka (Sans titre, 2013), est composée des mêmes matériaux, mais aux fonctions inversées: la pièce est ici faite de ciment, et son support est en bois rustique, celui qui a été utilisé pour la transporter jusqu’au lycée. Raphaël Zarka a ainsi intégré à l’œuvre en ciment la structure en bois qui a servi à la protéger. Et une nouvelle fois, le hasard a ainsi été convoqué dans cette sculpture.

En effet, cette imposante structure en forme de polyèdre tridimensionnel et vide, composé de dix-huit carrés et huit triangles (cette figure est en mathématique appelée «rhombicuboctaèdre»), a été trouvée en deux exemplaires par Raphaël Zarka au bord d’une route près de Montpellier. La sculpture fonctionne bien dans le cadre de ce lycée fraîchement construit où s’entrecroisent différentes textures de ciment. En outre, la géométrie rigoureuse, parfaite et brute, du rhombicuboctaèdre semble issue des rêveries d’un mathématicien mélancolique.

Raphaël Zarka établit dans son exposition une évidente et mystérieuse récurrence du rhombicuboctaèdre dans l’histoire de l’art et des images: de Léonard de Vinci à Harry Potter, d’une publicité Lancôme à une installation de David Cascio. De façon plus palpable encore, il s’avère que les deux rhombicuboctaèdres trouvés au bord de la route avaient été produits pour être posés au fond de la mer afin de reconstituer des récifs sous-marins.

Au musée, une série de photographies figurent de grands objets croisés par hasard et transformés en sculptures par le regard de l’artiste. Dans un même esprit, Brassaï avait élevé en «sculptures involontaires» des objets trouvés de petites dimensions, et Edward Weston avait transcendé une feuille de chou et des poivrons en de véritables sculptures. Ces photographies qui donnent forme au hasard de la rencontre avec des déchets industriels réaffirment le rôle du hasard chez Raphaël Zarka et sa volonté de charger les objets d’une nouvelle signification, ou de leur donner de nouvelles couches de sens en les déplaçant, soit par le biais de leur image photographique, soit par le transport de la pièce proprement dite.

Au centre de la salle une sculpture (Sans titre, 2013) est composée de deux tétrapodes en ciment (produits industriellement pour servir de brise-vagues) auxquels sont amarrées des cordes passant au-dessus des poutres de la salle et retenant chacune à leur extrémité un rombicuboctaèdre en verre. Ces rhombicuboctaèdres transparents et pendus renvoient au verre à moitié rempli d’eau figurant dans un portrait peint par Jacopo de Barbari (Ritratto di Fra’ Luca Pacioli, 1495). Les deux tétrapodes en ciment qui les soutiennent dans la pièce de Raphaël Zarka sont couverts de mousses et de restes d’algues qui suggèrent leur origine maritime. Ciment, corde et verre créent des tensions qui retiennent de l’eau dans les formes géométriques transparentes et lourdes de rhombicuboctaèdres en verre suspendus, venant des profondeurs d’autres images, comme l’indiquent les documents iconographiques qui en retracent l’archéologie.

Les mouvements développés par Raphaël Zarka reflètent ceux que le sculpteur effectue en créant son œuvre. D’un côté, le mouvement de la matière pour aboutir à une harmonie, notamment par la combinaison des clefs de châssis en chêne dans Les Prismatiques; d’un autre côté, la mobilisation d’un répertoire d’images à partir duquel l’artiste fait advenir de nouvelles formes dans de nouveaux contextes.

Le hasard joue un rôle dans ce dynamisme de forme et de sens, mais il est guidé par les références et les intentions du sculpteur. Il ne s’agit plus du skateur qui glisse entre des obstacles, mais de l’artiste qui s’enfonce dans le jeu de déplacements, combinaisons et associations. Le jeu consiste à matérialiser des œuvres qui expriment les mouvements de son imagination; quant au visiteur, il cherche à s’insérer dans la pensée plasticienne de l’artiste. Et cette exposition sait subtilement les guider dans cet itinéraire plastique.

Å’uvres
— Raphaël Zarka, Les Prismatiques, 2013. Série de 24 sculptures en chêne posées sur un socle de bois et tablette en ciment. Dimensions variables.
— Raphaël Zarka, Sans titre, 2013. Récifs artificiels en béton, débris de béton, structure et caisse en bois. Dimensions variables
— Raphaël Zarka, Sans titre, 2013. Tétrapodes en béton, verre soufflé, cordes, plomb. Dimensions variables
— Raphaël Zarka, Rhombus sectus, 2009. Film Super 16 transféré en HD, 12′, en boucle.
— Raphaël Zarka, Les Formes du repos n°1, 2001. Tirage lightjet. 70 x 100 cm.
— Raphaël Zarka, 10 ans après, 2011. Tirage lightjet. 70 x 100 cm.
— Raphaël Zarka, Sans titre, 2013. Quatre rhombicuboctaèdres en verre soufflé et deux tétrapodes en béton, cordes plombs, dimensions variables.
— Raphaël Zarka, Les Formes du repos, série de 6 photos. 100 x 70 cm.
— Raphaël Zarka, Catalogue raisonné des rhombicuboctaèdres, 3e éd., 2013. Sérigraphie, cadre bois, verre, 100 x 140 cm.
— Raphaël Zarka, La Déduction de Wenzel, 2013. Contre-plaqué de bouleau et encre offset. 130 x 170 x 3 cm.
— Raphaël Zarka, Bille de Sharp n°9, 2012. Poutre en chêne pyrogravée. 60 x 30 x 30 cm.

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