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Pursuit

24 Oct - 06 Jan 2013
Vernissage le 24 Oct 2012

Richard Pak s’est rendu tous les ans aux Etats-Unis, de 2003 à 2009, et, à partir de la Déclaration d’Indépendance, qui mentionne le droit de chacun «à la vie, la liberté et la poursuite du bonheur», il a choisi de s’intéresser à deux Amériques: celle de la middleclass - le «rêve américain» - et celle des «petites gens» en marge de ce mirage.

Richard Pak
Pursuit

Bien que sensible à l’héritage d’une photographie américaine purement documentaire Richard Pak a voulu donner un regard sur les États-Unis d’aujourd’hui plus proche de son imaginaire, nourri par le cinéma hollywoodien et la littérature américaine. «Pursuit» mêle ainsi portraits frontaux et scènes prises sur le vif, avec pour finalité l’envie de suggérer plutôt que de décrire.

Chronique du quotidien vécu de l’intérieur, «Pursuit» s’est fait avec la complicité de ceux qui ont accordé leur confiance au photographe en l’accueillant dans le périmètre de leurs vies privées. Parallèlement au travail photographique, Richard Pak a retranscrit certaines de ces rencontres, rassemblées sous le titre «Please, come again».

Inscrite dans le courant de la photographie réaliste, «Pursuit» donne à voir une Amérique désenchantée mais aussi empreinte de tendresse et d’empathie pour ses protagonistes.

A l’occasion de «Pursuit», un ouvrage est co-édité par les Editions Journal, Filigranes et Le Château d’Eau:
Richard Pak, Please, come again, 2012. 17x23cm, 175 pages, 66 photographies couleurs.

Extraits:
«Richmond, VA Vers 18h nous partons photographier un couple d’amis de Ginni dans la banlieue de Richmond. En route, alors que nous sommes presque arrivés, son amie en pleurs appelle pour nous dire de ne finalement pas venir. Elle s’est disputée avec son mari, à cause de cette prise de vues. Je conduis pendant qu’au téléphone Ginni tente de démêler le pourquoi du comment de cette histoire.

Je tourne dans les quartiers résidentiels, m’arrêtant ça et là pour photographier des rangées de maisons identiques sous un ciel pluvieux. Un couple vigilant m’observe du pas de leur porte, se demandant manifestement s’il faut signaler à la police cet inconnu en plein milieu de la rue. Mais nous repartons avant que j’en aie la réponse pour aller retrouver Christine. Elle a fini par faire sa valise et s’est réfugiée dans un resto déprimant du shopping mall voisin.

Quand on la rejoint elle en est à son deuxième verre de Chardonay et n’a pas l’air de trop accuser le coup. Son control freak de mari, initialement d’accord pour que je les photographie tous les deux, a subitement changé d’avis et lui a interdit de se prêter à ce petit jeu. C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase et elle s’est barrée en claquant la porte.

On mange, on boit, on en rigole malgré tout. Avant de nous séparer, alors que Ginni s’est absentée, Christine se met à pleurer et à maudire son abruti de mari pour qui elle a écourté ses études et ses rêves d’enfants. Je l’écoute, silencieux, attentif et impuissant, héros malgré moi d’une nouvelle de Carver, qu’à tort ou à raison je ne photographie pas.

Richmond, VA. Ginni et moi allons prendre un café au Starfucks du coin. Elle donne rendez-vous à un type sur le parking pour échanger une demi-douzaine de Xanax (« pour sa femme ») contre de l’herbe (pour nous). On la fume en fin de soirée, tout en se bécotant dans ma voiture garée près de chez elle sous un lampadaire.

Je passe la nuit qui suit dans son lit. J’y suis installé et je photographie le ventilateur du plafond quand elle me rejoint. Elle s’assoit sur le bord et commence à trier les cachets qu’elle gobe tous les soirs. Je n’y prête d’abord pas trop attention quand tout à coup elle me regarde en tirant la langue, recouverte de pilules de toutes les couleurs. Je lui dis de tenir la pose, la photographie plusieurs fois et lui lance, victorieux, “Now you’re in the book!”. Elle fait une moue complice, ne sachant trop si elle doit me maudire ou en rire.

Branchland, WV. Je retourne chez Michael qui n’est pas là, pas plus que Brian le voisin. Il fait très chaud et j’attends assis à l’ombre du trailer, en sirotant une des bières fraîches que je viens d’acheter. Un gamin vient me faire savoir que Michael ne devrait pas tarder. J’en profite pour lui demander de me présenter à d’autres habitants de ce cul-de-sac paumé au milieu des Appalaches.

Il accepte et nous parcourons ensemble le chemin de terre desséchée qui nous éloigne de la route. Nous longeons une rangée d’enclos où des chiens faméliques aboient sans relâche. Flanqué de mon jeune guide je m’approche d’un mobile home, une femme et sa fille attendent en silence à l’ombre d’un auvent. Je me présente et explique ce qui m’amène là. Je ne suis pas du tout sûr qu’elles trouveront leur place dans mon projet mais je fais leur portrait malgré tout, histoire de ne pas les froisser.

Della d’abord, et puis sa fille Vick. Les brides mongoloïdes de ses yeux bleus trahissent la présence d’un chromosome superflu. Elle fait sa coquette mais se laisse facilement convaincre par sa mère et derrière sa timidité je vois bien sa fierté à ce que je la photographie. Pendant tout ce temps le gamin qui m’a accompagné nous observe accroupi, légèrement en retrait et les yeux écarquillés, bien décidé à ne rien manquer de cette scène qui le change de son ordinaire. Soudainement un type que je devine être son père déboule sur un quad et, par un regard qui ne prête pas à confusion, intime à son fils de monter en selle. Ils repartent aussi sec et sans un mot dans un nuage de poussière.

Della et moi bavardons. Son mari, qui ne souhaitait pas être photographié, s’est joint à nous. Ils ne possèdent presque rien, pas même de voiture, et survivent en cultivant le champ du propriétaire. (…) Ils m’offrent un café, je leur offre des cigarettes. Della fume comme on déguste un cigare. Elle me confie son rêve de partir, quitter ce trou perdu et tout recommencer ailleurs, anywhere. Où, mieux encore, partir en voiture, prendre la route et ne jamais s’arrêter.

Elle est très touchante, d’autant plus que nous savons tous les deux qu’elle n’en fera jamais rien. Elle me propose encore du café mais il est temps pour moi de repartir. Je leur laisse le reste de mon paquet de clopes et on se dit au revoir en se serrant dans les bras. Dans un murmure Della me glisse à l’oreille « Please, come again » comme un appel au secours qui me serre encore la gorge.» (Richard Pak, Please, come again.)

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