ART | EXPO

Punch me

14 Nov - 10 Déc 2014
Vernissage le 13 Nov 2014

Les peintures aux couleurs suaves de James Rielly font ressurgir nos peurs les plus enfouies (peur du noir, peur de l’absence, peur de grandir, etc.). A travers elles, l’artiste fouille les émotions de vie et les met en résonance avec les mythes. La figure de l’enfant, motif récurrent de ses toiles, incarne la métaphore d’une innocence perdue.

James Rielly
Punch me

L’exposition de James Rielly à la galerie La Box à Bourges présente l’étendue de son Å“uvre, tant dans la temporalité, des premières Å“uvres à celles d’aujourd’hui explorant les différents médiums qu’il travaille: cinéma d’animation, dessin, aquarelle, peinture… Parcours sur la permanence de cette peinture, son langage singulier où se perçoit la tension entre le message et l’impassibilité du tableau, entre la figuration et l’abstraction, entre la peinture et le document. Å’uvre sur le conflit entre violence et tendresse, proche des préoccupations du peintre Luc Tuymans.

Au premier regard la peinture de James Rielly nous surprend avec ses sujets, souvent des enfants aux couleurs suaves, aquarellées, mais nous saisit aussi d’un sentiment d’inquiétante étrangeté ou au moins d’inquiétude. Douceur aux prises avec les peurs toujours insurmontées, peur de grandir, peur du noir, de l’absence, du monstrueux et de l’invisible. «Wenn jemand spricht, wird es heller» («Quand quelqu’un parle, il fait clair») dit l’enfant dans sa chambre obscure. C’est la voix de l’autre qui toujours éclaire la pénombre.

Un artiste parle, James Rielly, il fait clair dans ses peintures, mais dans la fixe et subtile lumière résonnent les terreurs dévoilées par l’artiste, de son, de notre enfance en partage. Écho, des enfants disparus au pays de Galles avec la catastrophe d’Aberfan en 1966. James Rielly est gallois, il avait 10 ans quand ce désastre éprouva son pays avec la mort de 116 enfants et 28 adultes. Mais il ne faudrait surtout pas enfermer son œuvre en devoir de mémoire à bon compte avec cette expérience traumatique. Le fait divers, le document historique ou d’actualité aussi éprouvant qu’ils soient, se lient toujours à l’histoire et aux enjeux de la peinture dans son travail.

Il commente toutes les peurs, celle des fantômes par exemple. Ces «visiteurs nocturnes» que sont probablement les parents; «Les parents, que les enfants observent en vêtements de nuit blancs, sont les modèles de la conception infantile des personnages mystérieux.» (Sigmund Freud). Dans les bruits amplifiés, ceux perçus de l’enfer du Poltergeist, résonne le charivari de la «scène primitive». Voilà pourquoi cela fait réellement peur de réactiver ces peurs réelles de l’enfance. Mais n’est ce pas l’enjeu de toute peinture de convoquer tous les poltergeist, tous les esprits frappeurs et étrangers: tout l’inexplicable — le non déplié — dans les plis de l’image. Ce qui nous regarde même si on n’y voit rien. C’est la démesure tenace de l’œuvre de James Rielly de toujours fouiller les émotions de vie, de les mettre en résonance avec les mythes.

Avec ses figures d’enfants, pris, surpris, dans leur innocence présumée, se révèle l’absence nécessaire, le permanent Noli me tangere (traduction latine des paroles prononcées par Jésus ressuscité à Marie-Madeleine: «Ne me touche pas») de l’image. L’enfant, l’adolescent, le jeune adulte des peintures de James Rielly sont nos doubles, et nos ombres à l’arme blanche.

L’enfant est aussi ce multiple héros, métaphore d’une innocence perdue, d’une perspective morale sans cesse revisitée par les artistes, particulièrement les cinéastes (La nuit du chasseur, 1955; Le village des damnés, 1957; Les garçons qui venaient du Brésil, 1978; Les révoltés de l’an 2000, 1976, etc.). Des classiques (La guerre des boutons, Louis Pergaud, 1912 à Sa majesté des mouches (William Golding, 1954), le thème de la perte de l’innocence est aussi récurent en littérature.
En art, particulièrement dans la peinture classique les images d’enfants se chargent constamment d’acceptions multiples. Dans les portraits tout comme dans la peinture de genre, «les enfants dépeints sont toujours là pour une visée théorique de l’image avec la métaphorisation ou l’allégorisation et des significations contradictoires: le futur, la précarité, la mortalité, la fragilité, la beauté ou la monstruosité (regardons cet enfant inquiétant du retable de Jérôme Bosch, Le portement de croix).

La notion moderne d’enfance en tant qu’âge de l’innocence repose sur l’idée que dans le corps préadolescent la sexualité serait latente, voire non existante. L’exposition, «Présumé innocent» du CAPC de Bordeaux (2000) en était le contre-pied. Les tensions contradictoires sont sous-jacentes à la peinture irradiante de James Rielly, dans l’épure, la poésie de son œuvre, l’enfant, l’adulte-enfant est toujours déguisé, camouflé. Poor old sparrow, pauvre cow-boy, pauvre squelette, pauvre vampire. L’humour, le mystérieux et le sacré affleurent toujours dans son travail.

«Ces bruits, ces éclats de crécelle dans le grondement d’orgue du silence de la maison après la mort de la mère me portent vers le mélange des chants au petit jour de La nuit du chasseur. C’est des cris qui ne savent pas être criés, des hurlements, des chants qui ne savent pas être hurlés, chantés.» (Marguerite Duras)

La magnifique maison de l’artiste est isolée dans la campagne du Gers face au Pic du Midi, image intemporelle du paysage sauvage, celui du premier jour seulement dissipé par quelques fermes au loin. De l’autre façade de sa maison se découvre un tout autre horizon, avec sur le bas un élevage avicole intensif et ses pavillons concentrationnaires glaçants. Deux faces, deux versants de la même histoire, la nôtre et celle du monde que nous habitons soumis au Sommeil de la raison (Goya). La confrontation de ces deux mondes traduit les enjeux de la peinture de James Rielly. Son intense gravité, sa complexité entre opacité et transparence, l’expérience toujours renouvelée dans l’obstination du sujet de l’image et donc de la peinture.

«Le réel est peut-être la somme des apparences, des images et des fantômes qui en suggèrent fallacieusement l’existence. […] La réalité est sa propre fantasmagorie. […] En sorte qu’à vouloir nettoyer le réel des parasites qui le voilent on risque d’anéantir le réel tout court et de jeter l’enfant avec l’eau du bain. […]. En bref, le réel pourrait consister dans l’ensemble de doubles, et retourner au néant en cas de disparition de ceux-ci. Le double du réel est le seul réel parce qu’il est le seul à être perceptible; le réel sans double n’est rien.» (Clément Rosset)

Éric Corne

Commissariat
Eric Corne

Vernissage
Jeudi 13 novembre 2014 à 18h

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