ART | CRITIQUE

Prospective XXIè siècle

PCéline Piettre
@17 Jan 2011

Conçue à partir des nouvelles acquisitions du Frac Ile-de-France, «Prospective XXIe» donne un aperçu — évidemment partiel et subjectif — de la politique d’achats du Fonds régional francilien. Une sélection éclectique autour de la notion de mémoire.

La vitrine hivernale du Plateau s’ouvre sur une œuvre d’Arnaud Maguet, «Prospective XXIe», à qui elle emprunte très habilement son titre. Un film de l’artiste mexicain Mario Garcia Torres, What Happens in Halifax Stays in Halifax, en achève le parcours. D’un bout à l’autre de l’exposition, les deux œuvres se répondent. Chacune d’elles explore un pan de notre passé commun: l’histoire des musiques postindustrielles à travers la figure du jazzman Sun Ra pour la première, celle de l’art conceptuel par la référence à l’artiste Robert Barry pour la seconde.

D’un côté comme de l’autre, il est question de mémoire, mais d’une mémoire oubliée, ensevelie: les paroles de Sun Ra, projetées sur le mur, sont peu à peu vidées de leur substance par l’amplification du bruit émis par le projecteur qui les rend justement visibles ; l’œuvre méconnue de Robert Barry, sur laquelle Mario Garcia Torres enquête, le restera définitivement, en dépit de cet effort de «restitution».

Toute l’exposition fonctionne sur ce principe d’écho (entre plusieurs temps, plusieurs salles, plusieurs œuvres) et de brouillage des ondes d’un passé resté opaque ou désappris, et qui se joue du fictionnel. Car la mémoire, par ses lacunes, déforme et recompose le réel, fabrique une autre vérité.
A nous d’en combler les vides, comme devant L’Herbier imaginaire de Mark Geffriaud, où se superposent fragments d’images et de textes dans une sorte de liquidation du mythe encyclopédique. Ou encore la Table de rappel d’Aurélien Froment, jeu de memory destiné aux visiteurs et constitué des bribes iconographiques de son travail, à réagencer à l’envi.

En référence aux troubles de la mémoire et plus particulièrement à l’expérience du déjà-vu ou paramnésie, Michel François reproduit dans l’exposition deux salles identiques, tapissées d’un paysage de troncs d’arbres recouverts de motifs d’yeux stylisés. Du centre du plafond perlent des gouttes d’encre qui viennent éclabousser un journal déplié sur le sol. La tache ainsi formée à mesure du temps qui s’écoule est différente d’une pièce à l’autre, ce qui introduit un décalage au sein du même.
Ces «fausses jumelles» (cf. le titre d’une autre œuvre de l’artiste: Faux Jumeaux) pointent la non fiabilité de nos souvenirs, mais semblent aussi questionner le milieu de l’art en tant que tel, dans son attachement persistant (fétichiste et économique) à l’idée de l’œuvre originale.

Presque paradoxalement, l’intérêt que portent les artistes au passé paraît révéler quelque chose de leur positionnement vis-à-vis de l’avenir. Le titre de l’exposition est pour beaucoup dans cette impression. La prospective renvoie aux notions de prospection et de perspective, donc à un point de vue anticipé sur le futur.
En aucun cas, un tel point de vue n’est clairement exprimé ici, mais il paraît émaner des œuvres elles-mêmes, sous la forme d’une espèce d’ironie désenchantée. Cette dernière rôde autour de la Melancholia de Laurent Montaron, cette chambre d’écho dont la bande magnétique tourne à vide, et traverse la vidéo de Mark Leckey, Shades of Destructors, en raison des aspirations anarcho-nihilistes de son héros. Elle irrigue surtout la très belle sculpture-readymade de Jason Dodge, Darkness falls on Wolkowyja 74, constituée de différentes sources de lumières — allumettes, bougies et ampoules comme autant d’archives d’une modernité déjà obscurcie.

Ainsi, entre nostalgie et perspicacité, dans cette exposition rythmée par de nombreuses œuvres sonores, on rejoue un peu la musique du siècle passé en présumant de celle à venir.

— Jason Dodge, Darkness falls on Wolkowyja 74, 38-613 Polanszyk, Poland,  2005. Ampoules, tubes néons, bougies, briquets, allumettes, allume gaz, fusibles. Dimensions variables.
— Florence Paradeis, Drink in park, 2005. Photographie couleur. 53 x 80 cm
— Aurélien Froment, Rabbit, 2009. Vidéo HD, couleur, muet, sous-titres anglais. 5’41’’
— Bill Owens, Dinner in Pool, 1980. Photographie couleur. 35 x 50 cm
— Laurent Montaron, Melancholia, 2005. Chambre d’écho à bande Roland RE-201 transformée, matériaux divers, cadre en bois, néon. Dimensions variables
— Michel François, Déjà-vu (newspaper), 2003. Murs, affiches, journal local du jour, encre de chine. Dimensions variables

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