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Priceless

PCaroline Lebrun
@12 Jan 2008

Priceless: « sans prix ». L’exposition pose la question de la valeur à la fois marchande et artistique des objets. L’œuvre étant du côté de l’inestimable. Mais Priceless signifie également « impayable », comique, drôle. Ce qui introduit le doute et brise tout effort d’interprétation univoque.

Guillaume Paris joue sur le grand écart qui se creuse entre la valeur réelle et fantasmée que nous attribuons aux produits de consommation. Finalement c’est notre besoin de croyance qui n’a pas de prix et peut conduire à la démesure.

Dans l’espace de la galerie d’art, le phénomène est exacerbé. Comme l’explique l’artiste lui-même: « Puisque le discours marchand cherche à véhiculer une transcendance, au lieu de la rejeter en bloc, je l’interroge, je la récupère, la repositionne […] Il me semble d’ailleurs pertinent de réfléchir aux notions de fétichisation, de transcendance et de relation au monde à partir de l’œuvre d’art elle-même. C’est certainement la marchandise la plus sacralisée qui soit — c’est une méta ou super-marchandise. Il y a un parallèle entre la marchandise et l’œuvre d’art » (propos recueillis par Hugues Marchal, févr. 2001).

Pour engager la réflexion sur cette sacralisation des biens matériels et la manipulation du consommateur, l’exposition présente un dispositif de treize œuvres composites. Au lieu de traiter isolément chaque objet, Guillaume Paris tient à créer des tensions dans la mise en espace. Des liens mystérieux se tissent entre les différentes œuvres. L’artiste encourage la circulation du sens et invite le spectateur à s’interroger sur l’ambivalence des apparences. La distanciation ironique empêche l’identification naïve à un discours pré-établi. Guillaume Paris s’attaque insidieusement aux clichés de la culture occidentale et interroge, parfois avec cynisme, la récupération publicitaire et politique de l’image.

Il casse par exemple le mythe de pureté et d’éternelle jouvence auquel renvoie la publicité. L’œuvre intitulée Kinder montre le portrait vieilli de l’enfant qui servait de sourire atemporel à la marque Kinder. Portrait de commande effectué grâce aux méthodes de vieillissement de la police scientifique, le tableau laisse les années déformer les traits juvéniles. Le visage rendu familier par les médias, devient brutalement étranger. En réinjectant du temps dans cette promesse d’éternité, Guillaume Paris transforme le portrait commercial en vanité.
Coupée de son contexte factice habituel, la marchandise revêt un caractère inquiétant. Elle acquiert une autonomie qui donne soudainement du poids à sa présence.

Au premier étage de la galerie, une poupée de la taille d’une fillette en robe de communiante repose allongée sur le sol. Le mannequin baptisé Infinite Justice est présenté dans un emballage de plastique thermoformé avec deux ailes déployées. Le jouet grandeur nature, momifié dans sa boîte, ressemble à un gisant. Le malaise provoqué par l’image de la fillette morte est récupéré de manière mystique. Deux stèles blanches sur lesquelles sont gravées des messages de transcendance encadrent l’ange inerte. Ces Epiphanies en matière synthétique imitent le marbre. Elles reprennent le discours radical de certaines sectes.
Le contraste entre la croyance servile représentée et la matière synthétique utilisée, entre l’illusion de vérité et le faux marbre, fait de ce culte sacré une mascarade. La dramatisation macabre est déjouée par une distanciation ironique de l’artiste.
Dans la salle contiguë, un parterre de bougies électriques scintillantes représente le carnaval des âmes intitulé Carnival of Souls. Le feu sacré est remplacé par des ampoules. Comme dans les églises, le cierge symbolisant la vie de l’âme disparaît au profit de la lumière artificielle…

Guillaume Paris montre comment le vocabulaire sacré devient un outil marketing qui exploite notre crédulité et tente de la transformer en croyance véritable. L’œuvre intitulée Sign ressemble à un slogan publicitaire à l’entrée de l’exposition. L’inscription « Pray it works » apparaît en lettres bleu clair sur un grand panneau blanc. Elle signifie à la fois « Priez, ça marche » et « Priez pour que ça marche ». Le double sens est chargé de suspicion.
À proximité, la vidéo Burning Bush joue également sur les termes. Pour la déchiffrer on peut se limiter à la traduction littérale du titre «buisson ardent». Mais il est difficile d’éviter le rapprochement implicite avec George Bush. Les flammes incendiaires ne sont pas sans évoquer l’actualité. L’artiste souligne ainsi la récupération du religieux à des fins de propagande politique.

Toute l’exposition explore les paradoxes de l’image de pureté qu’on nous donne quotidiennement à voir. En vitrine de la galerie, un loup hurle à la lune dans un emballage en papier transparent constellé d’étoiles. L’animal en fourrure de chèvre respecte parfaitement les proportions du loup. La douce peluche blanche enveloppée de papier cadeau se mue en monstre hybride. Présentée sur un socle motorisé, la bête sauvage tourne sans cesse sur elle-même, prisonnière sacrifiée sur l’autel de la consommation. Son titre menaçant Wolf ! (Au loup !) lance un cri de détresse…

Guillaume Paris :
Rez-de-chaussée :
— Wolf !, 2003. Mousse polyhurétane, fourrure de chèvre, film polypropylène sérigraphié, peinture acrylique, socle, moteur. 180 x 160 cm. Production : La Galerie (Noisy-le-Sec).
— Burning Bush.
— Sign.
— Ivory.

Premier étage :
— Epiphanie 91a, 2002. PVC, polystyrène, résine PVC. 210 x 90 x 20 cm.
— Epiphanie 91b, 2002. PVC, polystyrène, résine PVC. 100 x 70 x 15 cm.
— Sans titre (Tick, Tock) , 1994. Bois laqué, résine. 30 x 23 x 23 cm.
— Trascendental Abstractions (Trust in Me).
— Infinite Justice, 2003. Fond : bois laqué, PETG thermoformé, sérigraphie sur vynil, mannequin : résine et vêtements. 185 x 125 x 36 cm.
— Object, 2002. Vidéo permanente (DVD), couleur et muet, moniteur sur socle. Réalisation : Andreas Carlen.
— Carnival of Souls, 2003. 288 ampoules sur socle en bois laqué. 197,5 x 94 x 22,5 cm.
— Kinder.
— Sans titre (Rome, 1998, BA17).

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