DANSE | SPECTACLE

Prélude à l’après-midi d’un faune. Le Sacre du printemps

01 Avr - 06 Avr 2008

Prenant congé de l’univers de la danse classique qui avait éconduit ses rêves d’enfant, Marie Chouinard tutoie Nijinski et Stravinski, en creusant la veine de leur Sacre du printemps. Puis c’est Le Prélude à l’après-midi d’un faune de Claude Debussy qui porte à nouveau les audaces de son écriture chorégraphique. Les deux pièces condensent, à elles seules, la danse vitale et irrévérencieuse de l’artiste canadienne.

Marie Chouinard
Prélude à l’après-midi d’un faune. Le Sacre du printemps

Prélude à l’après-midi d’un faune
(1994)

— Chorégraphie et direction artistique
: Marie Chouinard
— Musique : Claude Debussy, Prélude à l’après-midi d’un faune, 1894
— Lumières : Alain Lortie
— Costume : Luc Courchesne, Louis Montpetit et Marie Chouinard
— Maquillage : Jacques-Lee Pelletier avec Carol Prieur, Lucie Mongrain

Le Sacre du printemps (1993)

— Conception, direction artistique et chorégraphie : Marie Chouinard
— Musique : Rober Racine, Signatures sonores, 1992 ; Igor Stravinski,The Rite of Spring, 1913
— Lumières
: Marie Chouinard
— Costumes : Vandal accessoires Zaven Paré
— Maquillage
: Jacques-Lee Pelletier
— Coiffures : Daniel Éthier avec Kimberley de Jong, Mark Eden-Towle, Masaharu Imazu, Carla Maruca, Lucie Mongrain, Carol Prieur, Manuel Roque, Dorotea Saykaly, James Viveiros, Won Myeong Won

La jeune et sulfureuse danseuse qui, en 1982, sur la scène d’un petit théâtre de Montréal, défrayait la chronique s’imaginait-elle être nommée, vingt-cinq ans plus tard, Officier de l’Ordre du Canada, la plus haute distinction honorifique du pays fondé par Jacques Cartier ?  «Le chemin se fait en marchant », écrivait le poète Antonio Machado. Grande voyageuse s’il en est (New York, Berlin, Bali et le Népal firent partie de ses destinations de prédilection), Marie Chouinard n’a fait que suivre ses intuitions incarnées, leur donnant progressivement force d’écriture sans renier ce feu intérieur qui attise sa danse en «un vibrant appel à la liberté d’être.

Pendant plus de dix ans, Marie Chouinard a d’abord fouillé en elle-même le terrain d’une expression vierge de tout présupposé. Bien avant d’avoir rencontré la notoriété internationale qui l’accompagne aujourd’huI, le corps, le rythme, le souffle, la voix, ont été les ingrédients d’une matière organique qu’elle a longtemps forgée en solo, depuis Cristallisation, en 1978, se contentant de lieux plus ou moins confidentiels pour en propager l’écho. Non sans malentendu, parfois. En 1987, au Festival de nouvelle danse de Montréal, sa version de L’Après-midi d’un faune est loin de faire l’unanimité. Un magazine français, tout à fait respectable, censure même la critique de ce spectacle, au motif que Marie Chouinard, dans son hommage à Nijinski, a eu le mauvais goût de s’affubler d’une prothèse qui évoque un sexe en érection ! Mais la chorégraphe n’a que faire du qu’en-dira-t-on. Et en 1994, elle reprend cette première version, qu’elle accouple à la musique originale de Debussy.

En 1993, elle s’attaque au Sacre du printemps, ce monument de la modernité chorégraphique qu’ont notamment revisité, avant elle, Martha Graham, Maurice Béjart ou encore Pina Bausch. Lors de la création du Sacre, en 1913, Jacques Rivière notait dans la N.R.F: «Ce n’est plus le mouvement qui est soumis au corps, c’est le corps qui est soumis au mouvement ». C’est une semblable impulsion que retrouve, soixante ans plus tard, Marie Chouinard. «C’est comme si j’avais abordé la première seconde suivant l’instant de l’apparition de la vie dans la matière, commente-t-elle. Le spectacle, c’est le déploiement de cette seconde. J’ai l’impression qu’avant cette seconde, il y a eu l’intervention extraordinaire d’une lumière, d’un éclair ». Si la musique de Stravinski, ponctuée des Signatures sonores de Rober Racine, scande cette célébration du vivant, il revient à la danse d’en faire sourdre toute la puissance tellurique. Marie Chouinard s’y emploie en s’écartant des représentations habituelles de l’Élue du sacrifice. Ici, chacun(e) des dix interprètes est l’élu(e) qui reçoit et fait éclore le mystère de la vie, et la multiplicité des solos ainsi engendrés donne une certaine vision kaléidoscopique du Sacre du printemps.

De l’un de ses premiers solos, Marie Chien Noir (qui comportait une fameuse séquence d’onanisme), le poète Rober Racine parlait en 1982 de «bouleversement irrationnel » susceptible de créer une «relation immédiate, palpable et tout à fait naturelle avec le public : embrasser pleinement le propos de la pièce approfondit le sens des images qui l’accompagnent ». On pourrait reprendre mot pour mot ces expressions d’alors pour ce Sacre du printemps que Marie Chouinard signe en pleine maturité. Et où la danse réunit une dynamique visuelle toute contemporaine et une force archaïque, à jamais indomptée, qui semble être la source intarissable de tout élan vital.

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