ÉDITOS

Pour un vrai service public de la culture

PAndré Rouillé

En ces temps politiques de démantèlement compulsif des services publics, placés sous les coups de boutoir d’un arsenal de lois technocratiques, d’actions de privatisations et de marchandisations tous azimuts, il ne suffit pas de constater que la culture est en grand danger. Il faut, pour la culture, défendre la nécessité d’un service public fort, intelligent, dynamique, ouvert, efficace et dûment doté.
Ni se soumettre à la fausse nécessité libérale de la privatisation, ni se satisfaire de la caricature actuelle du service public de la culture, mais inventer un vrai service public capable de stimuler la vie culturelle et artistique autour de valeurs débattues démocratiquement.

En ces temps politiques de démantèlement compulsif des services publics, placés sous les coups de boutoir d’un arsenal de lois technocratiques, d’actions de privatisations et de marchandisations tous azimuts, il ne suffit pas de constater que la culture est en grand danger. Il faut, pour la culture, défendre la nécessité d’un service public fort, intelligent, dynamique, ouvert, efficace et dûment doté.
Ni se soumettre à la fausse nécessité libérale de la privatisation, ni se satisfaire de la caricature actuelle du service public de la culture, mais inventer un vrai service public capable de stimuler la vie culturelle et artistique autour de valeurs débattues démocratiquement.

Le service public de la culture, tel qu’il existe en France depuis André Malraux et Jack Lang, n’a cessé de subir les assauts de tous ceux qui posent en principe que l’État, en tant qu’incarnation du pouvoir, est par nature incompatible avec l’art et la culture dont la liberté sans partage est l’une des conditions de possibilité. En d’autres termes, le marché, élevé, lui, au rang de parangon de la liberté, serait l’espace et le soutien naturel de l’art.
Cette antienne qui continue à courir contre vents et marées, et par delà les chaos du marché, a été dernièrement encore entonnée, à Paris, par… Patti Smith: «En tant qu’artiste punk-rock américaine, la politique culturelle française est un mystère. Je ne peux accepter de l’argent d’un gouvernement» (Libération, 25 mars 2008).

Face à ces fausses évidences, et sans nier la légitimité du marché, il faut souligner qu’il est moins un espace de liberté que le cadre d’une domination de la valeur d’échange sur la valeur artistique, de la marchandise sur l’œuvre, de la dynamique du profit sur la logique du sens. Le marché est moins un espace de libre création artistique que le territoire des œuvres-marchandises.
Or, l’art et la culture ne sont pas seulement des marchandises à acheter et vendre, ce sont aussi des opérateurs de cohésion sociale, des générateurs de communauté, des vecteurs de valeurs, des éléments de reconnaissance. Dans les sociétés de liberté, ils peuvent contribuer à la mission sociale et historique de construire entre les hommes, par delà les différences et les origines, du commun, du lien et de l’humanité.

Mais, par ses visées amples et à long terme, une telle mission déborde amplement les enjeux et les cadres du marché, tandis qu’aujourd’hui plus que jamais les pouvoirs publics, gouvernement et ministère de la Culture, semblent manifestement ignorer ces potentialités civilisatrices de l’art et de la culture contre lesquels ils ont lancé une offensive ouverte.

L’arme gouvernementale de destruction massive de l’art et de la culture a pour nom la RGPP, qui signifie exactement la «Révision générale des politiques publiques». C’est un programme très concret qui est en train de bouleverser tout l’édifice de la société française conçu au sortir de la Seconde Guerre mondiale: un plan méthodique de démantèlement des services publics, sous couvert de les moderniser, de les revaloriser, de les réformer. Si c’est une réforme, c’est une réforme à l’envers, une contre-réforme.

C’est en application de la RGPP que la France est désormais soumise au dogme ultra libéral de non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraire. Appliqué systématiquement, arithmétiquement, avec une brutalité aveugle, ce dogme technocratique et obtus ignore les besoins des populations, la fécondité sociale et économique d’une action publique dynamique, et les exigences nouvelles du monde tel qu’il se profile.
Version comptable d’une politique consistant à dissoudre les services publics dans les entreprises privées, la RGPP est menée au pas de charge puisqu’en 2010 seront supprimés 33 754 postes dans la Fonction publique — éducation, santé, transports, culture, etc.

Au cours des dix prochaines années, le Centre Pompidou va pour sa part perdre 400 postes d’agents permanents sur les quelque 1000 actuels, alors que l’établissement est au bord de l’asphyxie. Cette saignée de 40% des effectifs s’accompagnera d’une multiplication des vacations et d’une externalisation massive de l’emploi, c’est-à-dire d’une généralisation de la précarité et de la déqualification du travail.
La formidable aventure collective, teintée d’utopies progressistes et libertaires de l’après Mai 68, s’effondre aujourd’hui dans une plate recherche de rentabilité et de profit, dans la gestion bêtement comptable d’une institution qui a pourtant affaire avec les plus hauts degrés de la création et de la pensée.
L’augmentation de 120% du prix du billet d’entrée au musée depuis 2003 (passant de 5,50 à 12 euros) exprime combien est d’ores et déjà révolue l’époque enchantée où le Président (de droite) Georges Pompidou considérait avec Pierre Bordaz que la gratuité de l’accès aux espaces du Centre était «un des éléments essentiels de la nouvelle culture» qu’ils voulaient faire largement partager au public.

Face à un marché qui vise à promouvoir et à commercialiser des objets ou des événements plus qu’à œuvrer à la définition collective de valeurs culturelles et artistiques; face à un gouvernement trop engagé à mettre en pièces tout l’édifice culturel public existant au profit d’intérêts strictement privés; face à cette situation, la culture et l’art — les créateurs, les œuvres, les publics, et la créativité elle-même — ont urgemment besoin d’un service public d’un nouveau type, sensiblement différent de celui hérité d’André Malraux et Jack Lang.

En dépit de ses qualités, et au-delà du fait qu’il part aujourd’hui en lambeaux, le service public du type Malraux-Lang repose sur un grave déficit démocratique, sur une absence de prise en compte de la complexité des rapports entre l’art, la culture, le public et la société.
Toutes les décisions, orientations et évaluations sont en effet, en France au niveau national, confiées à des administrations centrales dotées d’«inspecteurs ayant en charge l’appréciation artistique, le contrôle scientifique et technique, l’évaluation nationale des organismes de création, de recherche, de production, de diffusion, de mise en valeur des patrimoines soutenus par l’État» (Ministère des finances, PAP Mission Culture 2009, p. 114).
A l’échelon régional et local, le choix de ce qui fait art et culture, de ce qui mérite d’être ou non pris en considération, est aussi peu démocratique. L’appréciation de la «création artistique» et des «pratiques émergentes» relève du domaine réservé de supposés spécialistes dont les motivations restent toujours confidentielles, injustifiées, et soustraites au débat public.

Cette situation repose sur une conception selon laquelle la seule culture digne d’attention — et de recevoir un soutien public — est celle qui respecte les valeurs sélectionnées (arbitrairement, individuellement, secrètement) par des experts comme des valeurs universelles. Le rôle desdits experts consistant alors à désigner à l’admiration passive du public des œuvres sensées incarner lesdites valeurs universelles transcendantes…

Autant s’impose la défense du service public de la culture aujourd’hui menacé. Autant l’action peut être l’occasion d’esquisser un autre service public à partir d’une autre conception de la culture, des œuvres et du public.
L’universalité historique, sociale et esthétique des œuvres n’est qu’un mirage, et ne se décrète pas. La valeur esthétique est ni attachée aux œuvres, ni dévoilée par des experts, mais produite. Elle se tisse, à partir des œuvres, au travers d’un processus social complexe de critiques, de débats publics et d’échanges auxquels chacun peut contribuer à sa manière et selon ses moyens. Ainsi conçue comme relative et polyphonique, la valeur des œuvres pourrait être l’affaire de tous, au moins de tous ceux qui souhaitent prendre part au «partage du sensible».

Alors, le rôle du service public de la culture ne consisterait plus à désigner les «bonnes œuvres», ni à distribuer des subventions selon des critères plus ou moins opaques et contestables, mais à stimuler la vie culturelle. A créer les conditions de possibilité de larges échanges et débats publics à partir des œuvres et sur elles.
Cette polyphonie discursive, et évidemment politique et contradictoire, à propos du sensible, produirait du contact, du lien et du commun. C’est-à-dire du respect de l’autre dans ses différences.

Un autre monde…

André Rouillé.

L’image accompagnant l’éditorial n’est aucunement l’illustration du texte. Ni l’artiste, ni le photographe de l’œuvre, ni la galerie ne sont associés à son contenu.

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