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Pour Mémoire(s)

26 Oct - 08 Déc 2012
Vernissage le 25 Oct 2012

L’Espace Fernand Pouillon accueille plus de cent cinquante photos de deux ateliers de Marseille et Ain Beïda (Algérie). Outre la beauté, la drôlerie, la justesse, la simplicité ou la poésie de ces portraits, pris du milieu des années 50 à la fin 70, ce qui frappe le plus ce sont les ressemblances entre ces images prises dans des lieux et des univers distants.

Assadour Keussayan, Grégoire Keussayan, Lazhar Mansouri
Pour Mémoire(s)

Images de studio, images d’archives
En présentant deux ensembles photographiques très proches, l’exposition «Pour Mémoire(s)» pose une nouvelle fois la question du rôle et du statut des images d’archives – images réalisées à l’époque sans intention artistique, mais dont les qualités esthétiques, la précision des poses ou la capacité à faire surgir un passé pas si lointain, leurs confèrent une valeur historique significative.
Les quelques cent-cinquante photographies exposées à l’espace Pouillon, et réunies ensemble pour la première fois, constituent un inventaire de personnes et de familles qui dresse le portrait «vivant» de deux micros sociétés, avec ses différences et ses points communs.

Des images sauvées de la disparition
Ces photographies ont été réalisées dans des conditions matérielles assez minimales des années 1950 à la fin des années 1970. La première série, conservée aux Archives Municipales de la Ville de Marseille, est issue de l’activité du Studio Rex de la Porte d’Aix à Marseille, où Assadour Keussayan et son fils Grégoire ont tenu boutique de photographes de 1947 à nos jours. La seconde est l’œuvre de Lazhar Mansouri photographe algérien qui a tenu son studio de photographie à Ain Beïda, ville des Aurès en Algérie de 1957 à 1980.

Dans les deux cas, ces images n’avaient pas forcément vocation à être conservées. Dans leur grande majorité, elles répondaient à des besoins matériels très précis et rien ne justifiait vraiment que les opérateurs de prise de vue ne les gardent très longtemps. Ces photographies de studio avaient une fonction définie: commerciale pour les photographes; familiales, personnelles ou administratives pour les clients. Il était usuel – et même quasiment logique – pour la plupart des commerces de studio de régulièrement (tous les dix ans) faire disparaitre les anciens négatifs et tirages conservés.

Dans les deux cas, c’est le hasard des rencontres que va permettre leur conservation. A Ain Beïda, Lazhar Mansouri a éduqué le photographe kabyle Mohand Abouda à sa pratique. Ce dernier a beaucoup discuté et appris auprès de lui, et nous a transmis de nombreuses informations sur sa pratique et sa «philosophie». A la mort accidentelle du photographe en 1985, Mohand Abouda sauve in extremis des sacs de négatifs que le fils de Lazhar Mansouri s’apprêtait à brûler, de peur de possibles représailles (nous sommes alors en pleine guerre civile) et qu’il conserve précieusement chez lui en Kabylie de nombreuses années. Lors d’une exposition à Alger, il rencontre Armand Dériaz qui sélectionne 400 négatifs (avec l’aide de Charles-Henri Favrod), puis réalise 110 tirages de cette sélection.

A Marseille, c’est Martine Derain, artiste photographe et plasticienne, qui a permis la sauvegarde du fonds Keussayan en le signalant et en faisant acheter par les Archives Municipales les négatifs et les plaques conservés par son fils Grégoire.

La pose comme fondement esthétique
Exemplaires des images produites après-guerre dans les studios de photographie un peu partout dans le monde, les images présentées dans cette exposition relèvent des trésors esthétiques qui reposent principalement sur l’opposition entre les faibles moyens utilisés et les postures gestuelles fortes des «modèles» photographiés.
Lazhar Mansouri nous en apprend beaucoup sur la méthode utilisée:
«Au début, pour séparer le studio de l’épicerie, nous avons utilisé les sacs de sel, des sacs pesant chacun un bon quintal. Un mur de sel pour établir une intimité. Les premiers éclairages étaient des lampes ordinaires de 500 watts fixées à l’intérieur de boîtes de lait Guigoz en aluminium suspendues aux chevrons. Le fond, une toile. Après quelques essais avec du noir et du gris, ajouts de bouquets de fleurs artificielles, d’accessoires. Pour les photographies d’identité, rien d’autre que le mur brut.
La personne à photographier dispose d’un endroit pour s’arranger toute seule, un petit miroir à main en plus de celui qui est fixé au mur, des brosses à cheveux, des peignes. En général, les femmes viennent déjà maquillées, bien vêtues et avec leurs bijoux. La prise de vue impose quelque distance, une distance protocolaire obligée qui est chez nous une marque de respect envers la femme. Quelquefois je suis obligé d’intervenir si des cheveux tombent sur les yeux ou si un bijou n’est pas en place. Alors, j’essaye de modifier, d’arranger, avec toutes les précautions de langage et de discrétion.»

A Marseille, le Studio Rex est implanté dans un quartier où la communauté arménienne est très présente dans les années 1950. Le studio est petit également, et les accessoires réduits au plus simple: une table, un paravent en fer forgé, un guéridon, un bouquet artificiel, une cravate et quelques effets de lumière. Parfois deux portraits sont réalisés sur le même plan film.
Dans les deux cas, les poses choisies traduisent une volonté, un message, une affirmation. Si elles sont souvent élégantes et raffinées, elles sont sans artifice, naturelles et quasi spontanées. C’est pour cela qu’elles s’imposent aujourd’hui si fort à notre regard déjà contaminé par tant de modèles médiatiques
pré-formatés.

Quarante ans (en moyenne) nous séparent de ces images de studio, et il semble toujours aussi difficile de savoir exactement quel statut leur donner. La valeur esthétique qu’on leur accorde aujourd’hui, le plaisir qu’elles procurent, n’ont aucun rapport avec les intentions des auteurs. Et le manque d’information à leur sujet nous empêche d’en faire le support à toute interprétation sociologique ou ethnographique. Faites pour mémoire, n’ont-elles d’autres statuts?

La lecture de ces archives pose la question de la sélection, et du choix des images inhérent à toute entreprise photographique. La sélection opérée, en Algérie par Charles-Henri Favrod et Armand Dériaz, et aujourd’hui à Marseille par Les Ateliers de l’Image et les Bancs Publics, n’est-elle pas déjà de nature à-modifier notre perception? Les choix se sont fait parfois directement sur les négatifs (pour le fond
Mansouri) ou sur tirages contact. Dans les deux cas, le ratio entre les images montrées et les images archivées est significative: de une pour trente à une pour cent. Cela n’est pas sans rappeler les choix qu’opère tout photographe devant ses planches contact.
Alors qui est l’auteur de l’œuvre? Celui qui réalise, celui qui choisit, ou celui qui montre?

Très récemment de nombreux travaux de photographes documentaires, parfois fonctionnaires de l’état, portraitistes de quartier ou même gendarme assermenté, se sont retrouvés élevés au rang d’œuvres d’art. Leurs auteurs devenant a postériori des artistes à part entière, alors que cela n’avait jamais été leur volonté.
Peux-t-on parler d’œuvres d’art, si les auteurs ne sont pas des artistes?

Dans la grande majorité des cas, ces images ont été «commandées», pour la plus simple des raisons qui fait qu’encore aujourd’hui l’on photographie: pour se souvenir des choses et des êtres. En gardant trace, ou en offrant à leurs proches ou leur famille une image d’eux-mêmes, ces personnes produisaient des supports à une mémoire partagée, quelquefois «pour qu’une photographie – comme l’explique Lazhar Mansouri – puisse témoigner quand s’annonce un exil ou une absence».

Ces images ne devraient-elle pas être aujourd’hui regardées pour ce simple fait? N’ont-elles pas comme seul statut certain, d’être, ni des archives ni des œuvres d’art, mais simplement, et c’est essentiel, celui d’être des objets de mémoire(s), individuelle(s) et collective(s).

L’image pour mémoire: Le portrait d’un corps social
Comme l’écrivait François Saint-Pierre, «Comme tout photographe de studio de cette époque, qu’il soit établi au Mexique, au Mali, en Kabylie ou en France, Lazhar Mansouri dresse au fil des ans le portrait de tout un village.» Les images que nous regardons aujourd’hui nous «tirent le portrait» non seulement des personnes représentées, mais surtout d’un ensemble social. Elles nous racontent à la fois la vie de ces personnes, les liens qui peuvent les unir mais aussi en filigrane bien des aspects des contextes historiques et sociaux de l’époque.

Elles servent aussi, dans cette proximité de la mémoire, à faire surgir des questions et des sentiments qui concernent notre existence, notre histoire, notre appartenance à ce corps social. (Erick Gudimard)

Dans le cadre de la 7e édition des Rencontres à l’Échelle et de la 19e édition des Rencontres d’Averroès.

Membre du réseau Marseille expos.

A l’Espace Fernand Pouillon

Du mardi au vendredi: 15h-19h, Samedi: 10h-13h.
Entrée du campus Saint-Charles, au rez-de-chaussée de la bibliothèque
3 place Victor Hugo
13003 Marseille
0491478792
Visites de groupes sur rendez-vous:
Les Ateliers de l’Image 04 91 90 46 76, mediation@ateliers-image.fr

Vernissage
Jeudi 25 octobre 2012 à 18h00

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