ART | CRITIQUE

Post Patman

PIsabelle Soubaigné
@03 Fév 2007

Chez Michel Blazy, le beau côtoie le laid, la saveur s’associe au dégoût et la mise en chair laisse la place à la décomposition. Ces «vanités» du XXIe siècle nous parlent de notre condition humaine

Une Peau de bête gigantesque recouvre le sol du hall d’entrée. L’aspect terne et brunâtre de ce tapis aux dimensions inhabituelles demande un peu plus d’attention. Quel type d’animal peut fournir un tel pelage? Le descriptif des œuvres présentées au Palais de Tokyo pour l’exposition Post Patman nous éclaire. Confectionnée à l’aide de coton recouvert de crème dessert au chocolat, cette “dépouille” fictive, au premier abord repoussante, prend un ton humoristique. Bienvenue dans l’univers déstabilisant de Michel Blazy.

On passe la porte en lamelles translucides de plastique épais, et on entre dans le laboratoire de l’artiste. Une Collection d’avocats, constituée depuis 1997, obstrue le passage et nous oblige à faire un écart. Bien au chaud sous une ribambelle d’ampoules, les plantes poussent tout doucement au rythme des années. A l’abri des intempéries, conditions optimales, les végétaux font l’objet d’une observation quasi-scientifique pour les visiteurs occasionnels. Une dialectique de la durée se déploie dans l’espace.

Une énorme goutte d’eau semble être tombée en silence derrière nous. Son impact qui ne devrait durer que quelques secondes et s’effacer rapidement, est suspendu, comme pétrifié au contact de l’air. Après la goutte est une large surface de coton immaculée répandue au sol. Cette sculpture incarne les cercles qui se propagent sur une étendue calme et liquide, au contact d’un corps immergé brusquement.
Michel Blazy a choisi de saisir un moment particulier. Il opère un arrêt sur image, un zoom sur les traces concentriques laissées par la chute d’une goutte d’eau. Elles semblent vouloir se déployer dans la pièce mais restent figées, ancrées au sol.
Étrangement, nous sommes alors dans la même posture. L’éclaboussure paralysée, en attente d’une impossible retombée, nous laisse dans l’expectative. L’artiste nous prend au piège, cernés par les parenthèses impalpables d’un avant et d’un après. Le temps et ses effets s’inscrivent dans l’œuvre, ils en constituent la matière première.

Plus loin, l’utilisation de substances organiques n’est qu’un prétexte. Supports d’une évolution incertaine et incontrôlable, les denrées périssables deviennent des sculptures éphémères, sujettes à la destruction. La crème au chocolat ou au caramel sèche, durcit et change de couleur. La purée de pommes de terre et de carottes appliquée sur les murs en couche mince, se craquelle et s’effrite, comme une peinture ancienne mal conservée. La moisissure et la pourriture envahissent les formes et les rendent vulnérables.

Les sentiments se mêlent. Sourire : les Chocopoules, gallinacés en fil de fer et coton recouvert de crème au chocolat, picorent ça et là.
Poésie : les Roses Beef, fleurs constituées de tranches de bacon, sont suspendues la “tête” en bas et s’offrent à nous avec mélancolie.
Inquiétude : Ver Dur se présente comme le squelette d’un reptile non identifiable. Les biscuits pour chien qui le composent amusent mais ne sont pas que de simples éléments d’un jeu de mots ou d’une boutade. Ces os, nourriture pour animaux domestiques, nous rappellent notre propre anatomie et sa structure. Leur fonction alimentaire se double d’un message. Nous finirons nous aussi, tôt ou tard, par devenir une substance nutritive pour de petites bêtes rampantes.

Des thèmes récurrents dialoguent et se complètent. Le beau côtoie le laid, la saveur s’associe au dégoût et la mise en chair laisse la place à la décomposition. Ces «vanités» du XXIe siècle nous parlent de notre condition humaine.
Voués à disparaître, sans pouvoir contrôler l’heure et les modalités de cet événement, nous contemplons, par ce jeu de miroirs sublimé, la décrépitude de tout organisme vivant. L’univers fragile de Michel Blazy est un moment de vie dépeint avec humour et légèreté. Il nous parle de la mort sans jamais la monter. Il détourne notre regard d’une évidence parfois mal assumée, pour mieux nous confronter, de manière irrévocable, à notre propre destin.

Michel Blazy
Peau de Bête, 2007.
Fontaine de Mousse, 2007. Court. Art : Concept, Paris, avec le soutien de Paprec
Canapé, 2007. Court. Art : Concept, Paris
Ver Dur, 2000. Coll. Nouveau Musée National de Monaco
Patman II, 2006. Collection Guillaume Houzé, Paris
Sans titre, 2007. Court. Art : Concept, Paris

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