ART | CRITIQUE

Portraits grandeur nature

PRaphaël Brunel
@18 Fév 2008

Sous forme de badges, Agnès Thurnauer réalise une série de portraits d’artistes marquants du XXe siècle, qui décline le style sur le mode singulier du genre. Dans une œuvre récente, elle introduit des préoccupations politiques nouvelles en mettant en garde contre les excès du marché de l’art.  

Simultanément au Centre de  création contemporain de Tours et à la Galerie Anne de Villepoix, Agnès Thurnauer expose une série de portraits d’artistes, grandes figures de l’art du XXe siècle, dont les noms résonnent comme autant de génies et d’inventeurs de formes.  Ils ne nous apprennent pourtant rien de leurs caractéristiques physiques et déclinent le style sur le mode singulier du genre.

D’un diamètre de plus d’un mètre, ces portraits se présentent sous la forme surdimensionnée de badges. Epinglés habituellement sur les vestes, supports pour références musicales, slogans politiques ou blagues potaches, ils se présentent ici à l’échelle du tableau. Extrait de la sphère du quotidien, cet objet vient alimenter le champ de la création contemporaine et accueillir, suprême honneur, les grands de ce monde (de l’art). Colorés et arrondis, ces portraits puisent dans l’iconographie pop, optent pour une approche ludique.

Pourtant ici aucun visage, ne serait-ce qu’une esquisse. Mais un nom frontalement imprimé. Si ces badges fonctionnent comme des portraits conceptuels où le nom, par sa résonance, évoque inconsciemment visage et œuvres, leur originalité se fonde d’abord sur une confusion du genre : Jackson Pollock devient Jacqueline et Andy Warhol, Annie.

Cette féminisation, qui entraîne perturbation de la réception et sensation d’anomalie, interroge l’histoire de l’art et sa représentation massivement masculine. Sans volonté purement féministe, puisqu’elle masculinise également des artistes comme Louise Bourgeois, Agnès Thurnauer cherche à interroger l’histoire de l’art de manière formelle et réflexive. En brouillant identité réelle et fictive, elle produit une galerie de personnages parallèles, androgynes, des biographies refondées possibles.

Au-delà d’une remise en perspective de l’histoire de l’art, Agnès Thurnauer interroge l’effet inconscient des noms célèbres. Si un nom incarne un individu, il se dissocie rapidement du cadre corporel pour fonctionner de manière autonome, comme une marque commerciale. Il devient ainsi, par usage et en dépassant la référence aux œuvres, une forme à part entière.

A la galerie Anne de Villepoix, les Portraits grandeur nature sont accompagnés de peintures, souvent diptyques ou triptyques, qui puisent dans le vocabulaire artistique autant abstrait que figuratif. Là encore le mot est au cœur du processus de création : chaque peinture est associée à un mot, qui fonctionne dans un rapport sémantique avec la représentation, à la manière des prédelles médiévales.

Agnès Thurnauer expose également, dans la dernière salle de la galerie, une œuvre récente constituée de grands panneaux séparés sur lesquels elle a dessiné à la craie des crânes inquiétants. En y accolant le slogan «Fuck the Market», elle confère à son travail, jusque là conceptuel, une aura politique nouvelle, en mettant en garde contre les dérives financières de l’art contemporain.

Agnès Thurnauer
— Idea, 2008. Acrylique sur toile. 59 x 42 cm par panneau.
— Jacqueline Pollock, 2007. Résine et peinture epoxy. 120 cm de diamètre
— Annie Warhol, 2007. Résine et peinture epoxy. 120 cm de diamètre
— Fuck the Market, 2008. Carré comté et acrylique sur toile. 195 x 130 cm
— Random, 2008. Acrylique sur toile. 59 x 42 cm par panneau
— Rainbow Elbow, 2007. Acrylique et assiettes en carton sur toile. 59 x 42 cm par panneau
— Now, 2008. Acrylique sur toile. 59 x 37 cm

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