ART | CRITIQUE

Portraits de Chine

PMagali Lesauvage
@12 Jan 2008

Feng Zheng-Jie peint des visages de femmes modelés dans les icônes d’un monde divergent, tendus par un double horizon: un œil porté à l’Est, l’autre à l’Ouest.

Inspiré par les papiers glacés des magazines de mode, Feng Zheng-Jie peint des visages de femmes irréelles, aux traits acérés par le maquillage. Transfigurées par des couleurs si vives et lumineuses qu’elles en deviennent violentes, elles fixent un regard divergent sur le monde. Chaque œil se projette dans deux directions différentes : l’un à gauche, l’autre à droite.
L’Est et l’Ouest, mis en balance avec une parfaite symétrie, semblent proposer deux horizons à ces regards fermes et fuyants. «Regards vers l’Est, Regards vers l’Ouest» est le titre de cette série déroutante, amorcée en 2002.

Modelés par les clichés entremêlés du glamour occidental et de la tradition chinoise, ces visages sont pétris dans l’iconographie désincarnée d’un double monde. Feng Zheng-Jie accentue à la fois les signes de la modernité occidentale et les attributs traditionnels, colliers de jade ou robes chinoises.
Au milieu de cette série, deux tableaux identiques aux couleurs symétriques : un homme minuscule souffle dans ballon. Son visage s’efface pour laisser place à une énorme rondeur gonflée d’air, qui prend la forme d’une tête. Ce double portrait habité par le vide fait miroir aux femmes moulées dans leur élégance glaciale, confirmant l’effet d’absence de ces visages sans vie.

Leurs traits sont estompés par le maquillage: de cette peau, trop blanche pour être drainée par la vie, émergent alors une bouche taillée dans un rouge sans nuance, des yeux étirés par leurs cils.
Ces bouches sont scellées par leur forme parfaite, ces yeux fuyants interdisent toute prise sur leur intériorité, tout dialogue possible. Doublement muettes, ces femmes sont retranchées dans leur étrangeté aseptisée, laissant prise au discours aliénant des clichés. L’Est et l’Ouest impriment chacun leur marque sur ces traits irréels, construisant des icônes hybrides.

Mouvement d’ouverture ou divergence insoluble?
En choisissant de s’en tenir à deux couleurs, le rouge et le vert, Feng Zheng-Jie imprime cette dualité de bout en bout. Acidifiés par ces teintes improbables, ces portraits sont baignés à la fois de douceur et de violence.
Dans les années 1995, l’artiste proposait les «Voyages Romantiques», inspirés par les poses surfaites des photographies de mariage, s’inscrivant dans le courant kitsch chinois alors en pleine vogue. La dernière série, «Le Papillon Amoureux», opérait la rencontre culturelle de deux femmes, l’une emblématique de la Chine traditionnelle, l’autre nue, aux cheveux colorés.
Dans «Regards vers l’Est, Regards vers l’Ouest», les deux femmes ne forment qu’une créature ambiguë, et l’artiste a franchi un seuil.
Dressés comme deux alternatives, l’Est et l’Ouest se font face sans donner d’horizon pour le regard. La beauté de ces visages est le théâtre d’un mariage douloureux, le champ de bataille de signes contradictoires.

Feng Zheng-Jie
— Chinese Portrait, No67, 2006. Huile sur toile. 150 x 150 cm.
— Chinese Portrait, No11, 2007. Huile sur toile. 150 x 150 cm.
— Chinese Portrait, No51, 2006. Huile sur toile. 150 x 150 cm.
— Chinese Portrait, No11, 2006. Huile sur toile. 150 x 150 cm.
— Chinese Portrait, No21, 2006. Huile sur toile. 150 x 150 cm.

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