ÉDITOS

Pompidou-Metz: un musée avec la vie

PAndré Rouillé

Entre Pompidou-Paris et Pompidou-Metz, entre 1977 et 2010, il y a tout un monde. On a changé d’époque. Et cela se voit dans la géographie et l’architecture. De Paris à Metz, c’est la décentralisation. Mais c’est surtout la désindustrialisation qui s’exprime dans le passage de la «raffinerie» de Renzo Piano à la délicate sobriété du bâtiment de Shigeru Ban. On passe de l’arrogance des tuyauteries multicolores à un bâtiment aux couleurs sobres, aux matériaux simples et discrets, et… écologiquement corrects.

Entre Pompidou-Paris et Pompidou-Metz, entre 1977 et 2010, il y a tout un monde. On a changé d’époque. Et cela se voit dans la géographie et l’architecture. De Paris à Metz, c’est la décentralisation. Mais c’est surtout la désindustrialisation qui s’exprime dans le passage de la «raffinerie» de Renzo Piano à la délicate sobriété du bâtiment de Shigeru Ban. On passe de l’arrogance des tuyauteries multicolores à un bâtiment aux couleurs sobres, aux matériaux simples et discrets, et… écologiquement corrects.
Pompidou-Paris est un monument à la gloire des «Trente glorieuses» qui ont tant puisé dans le pétrole que l’industrie du raffinage s’est imprimée dans les formes du plus important musée d’art moderne et contemporain du pays.

Intérieurement, Pompidou-Paris n’est guère adapté à l’accrochage des œuvres, les cimaises sont notablement insuffisantes, mais peu importe. C’est le modèle de l’«open space» des de bureaux modernes qui prévaut. Tandis qu’à l’extérieur, l’extraordinaire escalator accroché au bâtiment emporte les visiteurs, de plateau en plateau, jusqu’au sommet de l’«usine», et leur fait vivre une belle expérience ascensionnelle du progrès.

A Metz, l’allégorie tapageuse du progrès industriel est inversée en attention à prendre soin du spectateur, en souci de concevoir une «forme souple et accueillante» afin de ne pas «faire peur aux néophytes». En parti pris d’être «ouvert».
Les tuyaux aux couleurs clinquantes, les poutrelles d’acier, et les parois de verre de Pompidou-Paris, et la césure qu’il a inscrite dans le tissu architectural et urbain parisien, font place, à Metz, à l’épicéa qui est un bois «quasi inépuisable et parfaitement recyclable», et… «pas cher», tandis que l’eau de pluie sera récupérée pour arroser les jardins.
Soin et respect des visiteurs et de la nature, donc; mais aussi soin et respect de l’histoire de l’art et de la ville vers laquelle les trois galeries sont orientées: sur la cathédrale, sur la gare d’architecture prussienne, et sur la ville gothique — à la manière des vedute qui, notamment chez les peintres hollandais du XVIIe siècle, offraient des vues détaillées et précises des villes.

Si le célèbre escalator de Pompidou-Paris a symbolisé le progrès de l’époque des Trente glorieuses, c’est par son toit en forme de chapeau que Pompidou-Metz traduit architecturalement certains des traits d’aujourd’hui. Constitué d’une membrane translucide en fibre de verre, ce toit «déborde largement pour protéger le bâtiment», précise Shigeru Ban avant d’ajouter que «le chapeau est une forme sympathique». La quête ascensionnelle du progrès a ainsi fait place à un accueil paisible et humain. Soin et respect, peut-être aussi sobriété, modestie et légèreté, semblent émaner de ce bâtiment comme quelques unes des valeurs qui émergent des ruines de la modernité, dans le cahotement du monde d’aujourd’hui.

Un autre élément distingue les deux établissements: privé d’une collection propre, Pompidou-Metz ne sera qu’un lieu de monstration et de dépôt temporaire des œuvres de la collection de Pompidou-Paris, trop vaste pour les capacités d’exposition du lieu parisien. En d’autres termes, Pompidou-Metz est une succursale de la maison mère Pompidou-Paris, dans un rapport de vassalité semblable à celui qui liera prochainement le Louvre-Paris au Louvre-Lens.

Ces succursales régionales, à Metz et à Lens, se situent à la conjonction d’un double courant de désindustrialisation et de vive concurrence internationale entre les grands musées du monde. Elles viennent en quelque sorte combler en région un vide laissé par la disparition des anciennes industries, et visent à construire une nouvelle économie sur la base de la culture et du tourisme.
Une première vague de développement de la culture sur les ruines de l’industrie a pris l’aspect souvent sauvage et spontané des «friches artistiques». Aujourd’hui au contraire, après la réussite exemplaire de Bilbao sous l’égide du musée Guggenheim, les succursales de Metz et de Lens sont liées à des institutions prestigieuses, intégrées à une économie régionale concertée, et dotées de bâtiments dont la qualité et les caractéristiques architecturales doivent contribuer à leur rayonnement régional, national, et international — donc à conforter leur position dans la concurrence.

Pompidou-Metz, et bientôt du Louvre-Lens, ne sont évidemment pas dans une simple relation de vassalité avec leurs institutions de tutelle, ils font partie du même réseau et sont solidaires dans des projets assurément plus commerciaux qu’artistiques et culturels comme ceux du «Louvre-Abou Dhabi»: une initiative de l’émirat d’Abou Dhabi de faire construire un musée doté de la marque «Louvre», conçu et piloté par le Louvre qui présentera là (en rotation) des œuvres extraites des collections françaises. L’ensemble étant totalement financé par Abou Dhabi à hauteur de 974 millions d’euros sur trente ans (Le Monde, 9 janv. 2010). Lire l’éditorial n° 298.

Les musées d’art moderne et contemporain, et leurs collections, sont ainsi devenus les cathédrales de la mondialisation, des signes ostentatoire de puissance financière, des opérateurs symboliques indispensables pour inscrire les villes et les pays qui les accueillent dans le concert du business international.
De Metz à Hambourg, de Vilnius à Rio de Janeiro, de Dubai à Abou Dhabi, ou du Japon à la Chine, les projets fleurissent dans les points qui cherchent à briller sur la nouvelle carte des puissances planétaires. Désormais libérés de la rigueur syntaxique de la modernité, les plus grands architectes — Frank Gehry, Jean Nouvel, Zaha Hadid et Tadao Ando, etc. — rivalisent d’originalité, d’excentricité, d’expressivité, de talent, et (parfois) de kitsch pour honorer les commandes, ou les extravagances, de leurs clients.

Ce n’est pas le moindre mérite de Shigeru Ban à Metz que d’avoir évité la surenchère exhibitionniste par laquelle le bâtiment sert moins les œuvres qu’il ne transmet des messages extra-artistiques de pouvoir. Dans cette région qui a tant souffert, le triomphalisme architectural aurait, il est vrai, été mal à propos. A contretemps. Car en Lorraine, le temps n’est pas encore celui de la conquête, mais celui du soin des hommes et de la nature, celui des liens à renouer, et de la vie à retrouver.

André Rouillé.

Les citations sont extraites de l’entretien de Shigeru Ban paru dans Beaux-Arts magazine, n° 311, mai 2010.

L’image accompagnant l’éditorial n’est aucunement l’illustration du texte. Ni l’artiste, ni le photographe de l’œuvre, ni la galerie ne sont associés à son contenu.

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