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Polonia and…

Au départ, il y a une histoire. La population migrante polonaise, depuis la Pologne jusqu’à son arrivée aux États-Unis. A Chicago plus précisément, le poumon industriel du Nord, au faîte du miracle économique américain, terre d’exil pour de nombreux européens de l’Entre-deux-guerres.

Les grands-parents d’Allan Sekula ont fait partie de ceux-là. La série dont l’exposition tire son origine, Polonia and Other Fables, pourrait ouvrir la voie à une intropsection autobiographique. Elle s’arrête à son seuil. Par pudeur autant que par désir de raconter une histoire universelle, celle de la migration puis de l’intégration. Un exil dont on ne revient pas et qui se dilue ensuite génération après génération.

Cette série photographique fait surgir des personnages anonymes récupérés parmi toutes ces générations. L’ensemble reconstitue le fil invisible reliant les deux mondes sans pour autant sublimer l’un au détriment de l’autre. Au contraire, en dehors de quelques indications géographiques qui nous permettent ici d’identifier les paysages urbains de Varsovie, ou là le décor de l’économie du tertiaire à l’américaine, la plupart des photographies de l’exposition esquivent le sentiment d’appartenance.
Anonymes donc, au-delà des figures, comme si l’exil supporté par les migrants s’était prolongé dans les gestes des uns, les situations sociales des autres, finalement dans tout ce qui vient camper une identité.

L’exposition fait circuler entre plusieurs points de chute. Varsovie, Chicago, Sacramento, l’Eglise catholique américaine, une base militaire de la CIA vaguement installée dans la campagne polonaise, une famille de forgerons d’Ochojno (discret hommage au grand-père de Sekula, lui-même forgeron lorsqu’il vivait en Pologne).
Il n’y a pas de trajet à poursuivre, ni de progression à attendre. Au-delà des images, Allan Sekula décrit l’«immanence» des cultures, leur porosité réciproque. Ce qui peut apparaître comme une acculturation naturelle se révèle dans certains de ses aspects comme la marque d’un renoncement. Ou tout simplement comme la traduction d’une mondialisation aux forceps.

Il y a plusieurs lectures dans la photographie d’Alan Sekula. Esthétisante, influencée par la peinture, elle prend acte d’une certaine poétique de l’image et de l’objet. Le «roman» de Polonia and Other Fables opère dans la nostalgie, dans le mythe du voyage sans retour. On y parle de transmission, d’un héritage difficile à préserver, de choc des cultures. Une épopée à l’intérieur de la modernité en quelque sorte.
Mais sa photographie figure un autre rapport à la réalité. C’est là où elle se fait plus transparente, c’est-à-dire au service du document et du reportage. La migration telle qu’elle se perçoit dans la série Polonia… questionne un thème fort chez Sekula, à savoir la notion de flux. La circulation des biens et des personnes comme ultime trace tangible d’un dérèglement du monde.

Allan Sekula se situe en permamence sur cette corde. Déployant une critique sourde du système libéral qui broie et deshumanise les fondements des sociétés séculaires, il laisse s’épandre la poésie des images, comme une manière de remettre la photographie à sa juste place. La place du témoignage et non du manifeste.

Å’uvres
— Allan Sekula, Art Student futures trader. Mercantile Exchange. Chicago, August 2007, 2007.
— Allan Sekula, Farmer threshing grass at abandoned airport used by the CIA for transport of clandestine high value terrorism suspects. Szymany, Poland, July 2009, 2009.
— Allan Sekula, F-16 pilot prepares. Polish Air Force base near Poznan. July 2009, 2009.
— Allan Sekula, Father Andrzej who gave last rites to my father. Sacramento, December 2008, 2008.
— Allan Sekula, Replica of door to blacksmith’s shed, in situ, Ochojno, Poland, July 2009, 2009.
— Allan Sekula, CIA black site seen from across the lake just before the wrong film was confiscated. Kiejkuty, Poland, July 2009, 2009.