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Pligatures

Des cartes et des graphiques, rien de plus normal pour une Société qui s’autoproclame «Réaliste». Quoi, en effet, de plus réalistes que des systèmes scientifiques rationnellement élaborés?
Mais ces systèmes subissent ici un étrange brouillage. États donnés, graphique numérique d’une chose inconnue, offre un fourmillement de lignes blanches indéchiffrables. Dans le même esprit, le nombre exagéré de lignes, de chiffres et de lettres d’Eugonics et de Cartophony of the Land of the Free rend ces graphiques illisibles.
Au regard d’EUGCL : résultats questionnaire, constitué de camemberts et de diagrammes facilement déchiffrables, les déviances ci-dessus mentionnées prennent toute leur ampleur.

En dehors de la multiplication des lignes, des lettres et des chiffres, la Société réaliste sature d’une autre manière l’information. Celle-ci consiste à jouer sur les épaisseurs, les ondulations et les couleurs des graphiques, de telle sorte qu’il soit impossible de distinguer les données pertinentes de celles qui ne le sont pas. Rockall présente, l’un au-dessous de l’autre, le dessin et le schéma d’un même rocher. Le premier comporte différentes couleurs et des traits aux épaisseurs variées, le second est une ligne aux contours également variables. Dans cette prolifération de données, le regard est incapable de séparer ce qui est signifiant du non signifiant. Ainsi, il perd à nouveau de vue le sens du graphique.

Fac quod vis poursuit ce brouillage de l’information.  Par un jeu sur les épaisseurs, le regard ne sait plus s’il a affaire au schéma d’une île mystérieuse ou à un dessin abstrait. Difficile de comprendre ce qui est vu quand chaque partie d’un graphique compte. Ce n’est que lorsque les éléments pertinents sont distincts et en nombre réduit que le regard comprend ce qu’il voit, c’est-à-dire subsume le visible sous un concept.

En d’autres termes, là où le spectateur cherche à isoler quelques traits signifiants, il butte sur un ensemble inséparable de lignes, de points et de chiffres entremêlés les uns aux autres : impossible dans ces conditions d’en extraire un sens. 
Or, contrairement aux systèmes scientifiques, conçus pour être subsumés sous des lois générales, l’art, par la prolifération et l’intrication d’éléments significatifs, échappe à toute réduction. En rendant ses aspects formels opaques, c’est-à-dire non réductibles ou transparents aux concepts, il rive le regard sur les apparences sensibles. C’est pourquoi, les graphiques de la Société réaliste perdent leur statut scientifique pour basculer du côté de l’art.

Société réaliste
— Fac quod vis, 2009. Acrylique sur toile. 150 x 150 cm.
États donnés, 2009. Impression numérique. 103 x 120 cm.
Rockall, 2009. Acrylique sur toile. 73 x 100 cm.
EUGCL : résultats questionnaire, 2009. Impression numérique contrecollée sur carton. 19 x 22 cm.
Eugonics, 2009. Graphique sur calque. 120 x 84 cm.
Cartophony of the Land of the Free, 2009. Impression numérique. 150 x 150 cm.