ART | CRITIQUE

Please Don’t Stop Loving Me!

PPierre-Évariste Douaire
@12 Jan 2008

Please Don’t Stop Loving Me! est un cri que poussent simultanément quarante héroïnes ressuscitées des films des années 60. Ces pin up de BD pops et hyperréalistes se retrouvent muettes pour crier leur tristesse. Leurs bulles restent obstinément vides et blanches. Sans slogans ni revendications, elles ne peuvent qu’endosser l’habit de victimes.

Après Pierre et Gilles, c’est au tour d’un autre duo célèbre d’exposer à la galerie Noirmont. Peter McGough et David Mcdermott, souvent habillés à la mode victorienne, remplacent les plus tatoués de nos artistes français. Mais si l’attitude et le look dominent chez les deux new yorkais, leur peinture n’est pas la dernière à se faire remarquer. Renouant avec le pop art, tendance BD, elle est à la fois précise et soignée. Si la technique est immédiatement identifiable, le thème l’est tout autant.

«Please Don’t Forget Loving Me!» donne la parole aux femmes des années 60, victimes de la société de l’époque. Dans chacune des œuvres elles pleurent leur désespoir. Assises ou couchées, elles sont toujours malheureuses, toujours à cause de l’homme aimé. Abattues et prostrées elle sont en détresse affective. Songeuses, perdues dans leurs pensées, cachées derrière leurs sanglots, elles dressent un diaporama de la condition féminine des sixties.
Femmes au foyer, elles font passer leur mari avant elles. Elles nettoient la maison et se maquillent pour leur amant conjugal. Mais malgré leurs efforts, elles n’arrivent pas à le retenir. Les jours durent des années.
La solitude envahit leur home sweet home, leur alcôve se transforme en prison. Il n’y a rien, plus rien, à espérer dans ce petit nid douillet. Pensé pour deux, il perd sa raison d’être quand il est occupé par une seule personne. Abandonnées à leur triste sort, elles n’arrivent pas à se détacher de cette photo encadrée, posée au bord du lit. Elles l’aiment, mais il reste obstinément absent, toujours hors champ.

Les tableaux découpent l’image. Ils la multiplient. De ces vies décousues, en lambeaux, les peintres en tirent des plans, des séquences, des agencements. Les gros plans s’immiscent dans les vues d’appartements. Ce type de montage accélère les télescopages. Les souvenirs se heurtent à l’intérieur des chambres à coucher et des salles à manger.
Ces vies brisées se retrouvent sur la toile transformée en écran de cinéma. La peinture pop, tendance bande dessinée, vient se mélanger à une peinture hyperréaliste. Les deux s’imbriquent en s’opposant, en jouant sur les contraires, en redoublant les antagonismes. Tandis que la peinture bataille avec la photo, tandis que la couleur éclate sur le noir et blanc, des femmes pleurent plusieurs fois dans un même tableau.

Les bulles de BD sont en bernes. Elles ne font plus «Splash», «Boum», «Vroum». Elles restent prostrées, muettes. Recouvertes de blanc elles sont aussi silencieuses que ces pin up trop sage. Aucune indication n’aide à comprendre le mélodrame qui se joue devant nous. Corsetées dans leurs soutiens gorge en forme d’obus, les corps sont contraints à l’abandon et à la domination masculine. Le mal emporte ces dames maquillées pour rien. Elles savent que celui qu’elles attendent ne viendra pas.

Mais ce qui frappe l’œil ce sont les surfaces lisses. Les vingt toiles exposées ont toutes ce même traitement glacé. Tout est net. Tout est clean. Le détail est soigné pour que le mariage entre la photographie et la bande dessinée opère. Le noir et le blanc se disputent les cases colorées.

Le changement de style chez McDermott et McGough et cette nouvelle thématique tente de renouveler leur propo. Abandonnant la figure masculine, ouvertement homosexuelle, ils radioscopient les répressions dont souffrent les minorités. Le stéréotype de la femme au foyer des années soixante, véhiculé par l’industrie cinématographique, colporte une image de soumission qui n’est pas sans rappeler les souffrances que subit la communauté gay.

McDermott et McGough
— Now After All Those Things You Told Me, 2006. Huile sur toile de lin. 152,4 x 122 cm.
— There Wasn’t a Thing Left to Say, 2006. Huile sur toile de lin. 152,4 x 121,9 cm.
— How Could It End Like This?, 2006. Huile sur toile de lin. 152,4 x 121,9 cm.
— Maybe I Should Have Saved Those Left Over Dreams, 2006. Huile sur toile de lin. 152,4 x 121,9 cm.
— I Hadn’t a Heart Left to Pray, 2006. Huile sur toile de lin. 152,4 x 121,9 cm.

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