DANSE

Plastique danse flore

PKatia Feltrin
@10 Oct 2011

Dans un écrin de nature, la troupe de Cecilia Bengolea et François Chaignaud interprète les «danses libres» de François Malkovsky (1889-1982) composées entre 1922 et 1936. Sous une pluie battante, la chorégraphie évoque l’ambiance de Montè Veritas, ce haut-lieu de l’avant-garde de la danse du début XXe qui recueillit notamment Rudolf von Laban, Mary Wigman, Isadora Duncan…

Au potager du Roy à Versailles, l’averse est imminente. Le musicien protège le piano miniature des intempéries. Les techniciens fument accroupis dans les fourrés. Le non-spectacle est déjà en soi pittoresque et cocasse. Les danseurs peinturlurés comme des divinités hindoues attendent sous les feuillages recouverts d’un plaid de fortune. Comme dans une comédie burlesque chaplinesque, François Chaignaud s’oublie dans une brouette et feint un désespoir désinvolte.
Sous les parapluies, le public reste coi, charmé, amusé par les coulisses naturelles puis la danse bucolique à la frange de l’interprétation parodique. Une ambiguïté plane, légère, sur ces mouvements aériens que cherchent les danseurs sous le regard bienveillant de Suzanne Bodak, leur institutrice-transmettrice de la danse de François Malkovsky (1889-1982).
Au cœur des éléments déliés, l’on reconnaît les airs wagnériens en vogue à l’époque de la danse libre – notamment les Chevauchées des Walkyries – rendus tristement célèbres par l’un de ses fans vintage que je ne nommerai pas ici, mais présent en filigrane dans l’arrière-plan de cette idéologie «hygiéniste» et mystique de la danse moderne de Rudolf von Laban et de sa complice Mary Wigman.

Le naturiste François Malkovsky (1889-1982), le « danseur-philosophe », s’inspire de la danse d’Isadora Duncan et, comme elle, des sculptures antiques et de son analyse des mouvements de la nature et des animaux. Son répertoire est constitué de soli et de duos, mais aussi de quelques danses collectives que vont réaliser ici les interprètes grâce à Suzanne Bodak, qui, à partir des années 1960, suit les enseignements quotidiens de François Malkovsky pendant presque 15 ans.
C’est en 2007, que Cecilia Bengolea, François Chaignaud l’approchent et décident avec elle d’excaver le répertoire composé entre 1922 et 1936. «L’oubli dans lequel est tombé cet artiste pionnier nous a procuré l’impression grisante — que doivent ressentir des archéologues qui exhument de nouveaux sites — de découvrir un patrimoine insoupçonné», expliquent les danseurs. «Notre projet est de s’emparer de ces danses, à partir de la transmission de Suzanne Bodak, afin d’en inventer nos propres interprétations» poursuivent-ils.
François Malkovsky défendait avant tout un état de réceptivité, une musicalité intérieure, pas seulement l’apparente simplicité du mouvement fonctionnel, base d’une danse « libre ». François Malkosky insistait sur la fluidité, la coordination instinctive, et le rythme du pendule entre suspension et abandon, entre action, passivité et neutralité. Il souhaitait que l’imaginaire entre en relation avec la sensibilité organique pour atteindre un état de corps idéal, celui du danseur libéré, éveillé, nietzschéen, dépourvu de tension et «sereinement accordé à la magie des ondes».

Certains danseurs vont s’abandonner entièrement aux aléas des averses intermittentes. Ainsi de Cécilia Bengolea qui rend sensible dans son solo son intérêt pour les danses chamaniques et cultuelles. D’autres, lors des danses collectives vont être saisis de panique. Un pan de musique ou de chorégraphie semble être tombé dans l’oubli. Il y aurait comme une «couille dans le potage» dans le potager du Roy, lit-on sur les visages défaits des danseurs.
Heureusement, une Ronde à la Matisse les unit de nouveau dans une harmonie cosmique ou comique retrouvée. L’ex-institutrice porte des fiches dans son corsage, quelques danseurs aussi. Les dieux hindous violet, turquoise n’auraient-ils pas intégré au préalable l’intégralité de la partition vintage?
Le professeur Suzanne Bodak suit pourtant d’un regard bienveillant les pas de ses élèves-danseurs débutants. Elle ressent en son tréfonds le plus imperceptible de leurs mouvements.
Anxieuse, elle hoche la tête à chaque frémissement, reconnaissante du respect de la partition.
Mais les danses collectives rappellent les laborieux spectacles de fin d’année lorsque l’institutrice vérifie avec inquiétude les fruits de sa transmission. Il est un peu comique de voir ces chorégraphes se plier à l’exécution de cette danse surannée, à la frange du folklore, de l’avant-garde folklorique. Les conditions climatiques étant ce qu’elles sont, on leur pardonne le manque de concentration. Mais un manque de préparation ne semblait pas leur permettre d’incarner les partitions avec l’état de détente, de réceptivité, de suspension requis à l’époque par François Malkovsky.
«Nous ne sommes rien, disait le chorégraphe. Nous ne sommes que le canal par lequel passe la substance de toutes choses qui agit à travers nous». François Malkovsky demandait à ses élèves de se vider de leurs tensions, de trouver une immobilité tout à fait neutre celle du pendule revenu au point mort.
Les danseurs sont légers, mais légers d’un second degré, on ne sait s’ils se moquent ou s’ils interprètent à la lettre.
Les danseurs ont tenu jusqu’au bout dans l’herbe glissante, le pianiste a réussi à jouer entre les cordes. Le public applaudit pour les remercier de ne pas avoir annulé. Mais sans la pluie, où voulaient-ils en venir? Devaient-ils danser avec des fiches techniques? offrir une interprétation burlesque ou littérale? Une affaire à suivre… les 31 janvier et 1er février 
au CND à Pantin.

A voir :
la conférence au CND, Pantin, les 31 janv. et 1er fev.
 sur La danse libre de François Malkovsky par Françoise Bodak

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