LIVRES

Plans d’évasion

A travers les vitres de l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne, on peut voir une vidéo incrustée dans un mur à la manière d’un tableau. L’image est un long plan fixe centré sur des mains manipulant un papier d’aluminium. Au rythme des pliages et, grâce à un effet de miroir, les formes générées rappellent à s’y méprendre les figures d’un test de Rorshach. Intitulée Déjà vu Halu, cette pièce s’offre en préambule à l’exposition de Michel François qui transforme l’Institut en une expérience physique de l’espace.

La première salle envoie en l’air le paysage, c’est au plafond en effet que se déploie un champ de pissenlits alors qu’un tapis moelleux aux couleurs bleutées joue les effets d’intérieur. L’ensemble pourrait paraître poétique si Michel François n’avait pris soin d’en miner la scène. Les lignes en creux sur le tapis ne sont autres que les plans à taille réelle d’une cellule de TBS, ces centre de détention pour criminels récidivistes aux Pays-Bas.
Quant aux pissenlits, symbole de savoir partagé, de légèreté et de fragilité, ils sont suspendus de façon quasi militaire, quadrillant géométriquement la totalité du plafond.
Et, afin d’ajouter à la confusion des sens, sur le haut du mur, l’inscription «Pas tomber» en forme d’avertissement définitif est gravée à même le mur, comme l’indiquent les débris au sol.

Michel François utilise tous les supports pour donner forme à l’espace, et scénarise les objets du quotidien en d’infinies métamorphoses. A l’Institut d’art contemporain, il a travaillé d’une façon globale, ouvrant au maximum les perspectives.
On peut du coup découvrir d’un seul regard l’enfilade des salles grâce à un oculus percé dans le mur faisant face à l’entrée. Ce rond parfait est de fait un carottage extrait avec la précision d’un scalpel qui devient ici un trou de voyeur.

Michel François aime secouer et remodeler les espaces, sans s’effrayer du travail nécessaire. Il en va ainsi de la fosse habituellement située entre les salles de devant et celles du fond. Les escaliers qui en permettaient l’accès ont été cassés, et elle a été fermée par un plancher en bois, afin de donner une fluidité et une cohérence à l’exposition.
Dans cet espace remodelé, l’accrochage délaisse la chronologie au profit de la circulation du regard.

Il faut se laisser aller à la diversité des formes, des matières et des propositions pour apprécier le décalage permanent que Michel François impose au réel.
Un grand trou percé dans un mur qui aurait subi les assauts d’un cambriolage, suscite la curiosité et attire les regards. Mais contre toute attente, son fond sombre est occupé par un écran traversé de filaments de couleurs en mouvement accompagnés de bruits d’éclats et de brisures. Il s’agit en fait de la vidéo Apparition d’un verre, où une personne jongle avec des verres à vin.
Le spectacle s’ajoute à la force sensible de cette percée faite dans le mur dans un mélange d’interdit et de plaisir, augmenté d’un parfum de catastrophe exhalé par la bande son.

Pour la vidéo Autoportrait contre nature, une caméra fixée en hauteur filme verticalement en plan fixe les déambulations de Michel François dans un espace délimité par le cadre. Si dans un premier temps, il s’efforce à rester dans les limites du cadre, la scène tourne très vite au carnage car une bouteille qui semble surgir du ciel comme un missile s’écrase au sol. Une, puis deux, puis trois: les bouteilles continuent de tomber et à se fracasser bruyamment, dans la plus grande indifférence de Michel François qui continue sereinement ses mouvements sans les modifier Le verre brisé crisse sous ses pieds, tandis qu’il évolue comme dans une danse, opposant la grâce à la catastrophe.

Les dispositifs très épurés des «studios» sont bien différents. Dans deux salles symétriques, éclairées par des projecteurs, se déroule dans l’obscurité l’apparition de la lumière. Dans l’une, la photographie d’un studio prise de haut découvre la totalité du hors scène; dans l’autre, c’est le visiteur qui anime l’image, celle de son reflet capté par des miroirs et des vitres différemment polis et teintés. Deux espaces zen en quelque sorte, pour une appréhension plus introspective des dispositifs.

Au milieu de l’exposition, un filet d’eau, comme un passage, s’écoule du plafond sur une éponge en une sonorité naturelle sur parquet de bois qui délimite deux jardins on ne peut plus artificiels. C’est le début des Psycho-jardins, dignes d’une banlieue kitsch où la nature aurait perdu ses droits.
Ces jardins ont la forme de deux grandes étendues blanches symétriques, clôturées chacune par un alignement de bouteilles dont les goulots semblent fichés dans le sol constitué par un tapis de billes de polystyrène, qui opposent leur artificialité à la présence de vrais cactus ayant, contre toute logique, réussi à pousser là. Ce face à face entre le naturel et l’artificiel affecte les plantes elles-mêmes qui ont l’air d‘avoir été contaminées par ce nouveau écosystème puisque leurs épines se parent désormais de perles blanches.

Une autre salle met en évidence la boulimie créatrice et l’aspect protéiforme de l’Å“uvre de Michel François qui multiplie les dispositifs, les mediums, et les objets. C’est l’atelier avec ses mille et une matières, ses mille et un objets.
Une pelote de ficelle dans de la paraffine, des éponges émergeant d’une boule de cire ou de savon, etc. Ces objets hybrides, entre greffe et manipulation génétique, remplissent les murs, les tables et les armoires.
Michel François fusionne les matières comme il met en contact des images, La photographie d’un pull troué aux coudes fait écho à une table trouée de part en part. Une immense collecte du quotidien pour éprouver le monde

C’est cette spirale, cette contamination organique, qui rend l’Å“uvre de Michel François si spécifique. Le parcours proposé à l’Institut d’art contemporain est scandé par un élément propre à l’art minimal, celui du cube qui est décliné en différentes versions: cube en verre brisé, cube évidé à la façon d’une cage dorée, etc. Là encore, la matière déjoue le processus. Fragile, explosé, brisé, le cube se pare de narration, échappe au contrôle et rejoue de nouvelles partitions. Des cycles de vies…

Liste des oeuvres
— Michel François, Déjà vu, 2004. Vidéo
— Michel François, Pas tomber, 2009, 2010
— Michel François, TBS plan d’une cellule, 2009
— Michel François, Brisé, 2009
— Michel François, Pavillon interface, 2002
— Michel François, Psycho Jardin (cactus), 2009
— Michel François, Passage d’eau, 1998
— Michel François, Enroulement (ciment) 1991
— Michel François, Enroulement ( polystyrène) 2009
— Michel François, Studio, 2004
— Michel François, Apparition d’un verre, 2006
— Michel François, Autoportrait contre nature, 2002
— Michel François, Studio II, 2010
— Michel François, Scribble, 2008
— Michel François, Atelier
— Michel François, Le monde et le bras, 1994
— Michel François, Bailleurs, 1991
— Michel François, Drapeau, 1999
— Michel François, Souffle dans le verre, 2004
— Michel François, Pièce à conviction (sandales) 2008
— Michel François, Map of the world, 2006
— Michel François, Self floating Flag, 2006
— Michel François, Map of the world, 2006
— Michel François, Psycho-jardin ( aigle) 2006
— Michel François, Savon mâle, savon femelle, 1991 2009
— Michel François, Cactus Tatoo, 1998.