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Planches

Il serait facile d’accuser Emmanuel Perrotin d’avoir joué la carte de la prudence, d’avoir voulu minimiser les risques en invitant Eric Benqué pour inaugurer son nouveau département de design. Il est vrai que le créateur français, touche-à-tout invétéré, successivement scénographe, paysagiste ou graphiste, fait le choix consensuel du dépouillement et de l’élégance, dans la lignee directe d’un fonctionnalisme de bon ton, digne représentant de cette tendance rectiligne — et très cotée — du design contemporain.

Tout de bambous vêtus, discrètement ornés d’un morceau de feutre ou d’une touche de vernis transparent, bercés par le rythme régulier des fils du bois, ses meubles respirent l’harmonie et témoignent d’une grande cohérence dans le processus de fabrication. Bureau, chaise longue ou tabouret répondent du même agencement de planches en réseau orthogonal, où le jeu des horizontales et des verticales rencontre parfois la dynamique d’une diagonale. Le tout pour une construction parfaitement lisible, qui fait l’économie de l’artifice.

Pas de quoi provoquer le trouble, donc… mais en apparence seulement, car le travail d’Eric Benqué, dans sa simplicité formelle, dans sa rigueur géométrique, a quelque chose de primitif et de résolument novateur. Avec une ingéniosité indécelable au premier abord, le designer s’évertue à réduire au maximum l’utilisation des matériaux, inventant des raccourcis pour éviter l’adjonction de structures portantes, transformant les vides en rangements — l’espace entre deux planches, par exemple — ou en poignées.

Conséquence de ces stratagèmes, le tabouret nous supporte de ses trois modestes planches de bois : une pour l’assise, les deux autres, reliées en oblique, pour le piètement ; la bibliothèque concentre ses rayonnages dans la hauteur d’un parallélépipède rectangle évitant ainsi de se déployer sur toute la surface d’un mur ; la table d’appoint tourne sur elle-même comme une Spirale et offre une multitude de fonctionnalités, atténuant l’austérité de ses angles droits par la rondeur du mouvement rotatif.

Cette économie de moyen génère une économie de l’espace, si précieux dans nos villes surpeuplées, et confère aux meubles d’étranges proportions enfantines, un aspect squelettique, comme des ossatures qui attendraient d’être incarnées. La synthèse des formes, poussée à l’extrême, rappelle aussi l’écriture signalétique et ses potentialités graphiques, sa communication visuelle immédiate.

Mais surtout, par ce mode d’assemblage, le designer se positionne comme défenseur d’un design durable, respectueux des nouveaux enjeux écologiques et sociaux en terme de production et de qualité de vie. Une démarche confortée par l’usage du bambou, dont le taux de croissance, le plus important du monde végétal, en fait un matériau renouvelable par excellence. Avec Eric Benqué, le design est plus qu’un art de vivre, il porte en lui les germes d’une philosophie environnementale, où l’économie et la rationalisation des formes nous permettraient de vivre en accord avec la nature et la raison, et donc d’accéder au bonheur. Un stoïcisme des temps moderne…

— Eric Benqué, Secrétaire, 2008. Composite de bambou. 90 x 88 x 60 cm
— Eric Benqué, Bibliothèque, 2008. Composite de bambou. 180 x 88 x 88 cm
— Eric Benqué, Tabouret, 2008. Composite de bambou. 44 x 37 x 37 cm
— Eric Benqué, Lounger, 2008. Composite de bambou. 100 x 180 x 65 cm
— Eric Benqué, Spirale, 2008. Composite de bambou. 68 x 50 x 25 cm