PHOTO

Pitfall

PMarguerite Pilven
@12 Jan 2008

Elisa Sighicelli et Marzia Migliora placent leur travail sous le signe des Lumières et de L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert dont elles reprennent divers éléments iconographiques qu’elles mettent en scène dans un dispositif qui les fait jouer entre eux.

Lorsqu’Elisa Sighicelli ne travaille pas pour la galerie Gagosian de Londres ou la Cohan Leslie & Brown à New York, c’est à la galerie Zürcher, par laquelle elle s’est faite connaître en France, qu’elle retourne exposer régulièrement.
A cette occasion, et en compagnie de Marzia Migliora, elle place son travail sous le signe des Lumières, en rendant hommage à L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.

Les artistes reprennent divers éléments iconographiques figurant sur les planches illustrées de L’Encyclopédie qu’elles mettent ensuite en scène, dans un dispositif qui les fait jouer entre eux, filant la métaphore d’une aventure de la pensée.

Deux paysages gravés sont extraits des planches, sous la forme de photographies et placés dans des cadres, sur fond de papier peint dont les curieux motifs s’avèrent être également tirés de L’Encyclopédie, et représentent des figures stratégiques de déploiement militaire. Curieusement, aucune figure humaine n’anime ces paysages typiquement XVIIIe. Sighicelli les a en fait ôtés de l’image originale, provoquant ainsi chez le spectateur une interrogation quant à la façon d’interpréter ces paysages ordinaires.

On distingue clairement sur une des étendues vides et vallonnées, entre les arbres et bosquets, un aqueduc. Cet indice de l’activité humaine, à la fois lieu de traversée et de circulation des cours d’eau, entre en résonance avec le motif du papier peint qui démultiplie le schéma stratégique de traversée d’une rivière par l’infanterie, déplaçant la signification du paysage en possible champ de bataille.

Une vidéo projetée au mur nous jette un peu plus dans le paysage où nous nous sommes mentalement projetés, nous y confrontant cette fois-ci d’une manière quasi physique. L’ombre de notre corps s’inscrit dans l’image dès que l’on s’en approche. Ce film d’animation articule en fait différents éléments des paysages gravés que les artistes ont réalisés sous forme de maquette, filmés et retravaillés par ordinateur.
Les arbres et les bosquets découpés en volumes, comme des décors de théâtre, avancent vers le spectateur, l’introduisant dans leur mouvement. Une impression de déséquilibre est provoquée par l’image qui se balance constamment, faisant vaciller la ligne d’horizon.

On a ainsi l’impression bizarre de zigzaguer entre les troncs d’arbres se dressant devant nous comme autant d’obstacles à franchir, de parcourir un territoire devenu très dense quant apparaît une trappe au premier plan : nous voilà tombés dans un traquenard au cœur d’une forêt sombre, l’œil perdu dans un paysage inextricable. Des feuilles mortes de couleur noir tourbillonnent entre les arbres, rendant notre lecture de l’espace plus incertaine encore.

Si Sighicelli a soigneusement retiré toute présence humaine du paysage, n’est ce pas pour obliger le spectateur à jouer un rôle de premier plan dans ce dispositif d’images, l’inviter à s’emparer de cette suite d’ellipses éclairantes, pour les faire fonctionner ensemble ?

Si cette absence de figures humaines nous implique en tant qu’acteurs, alors nous endossons malgré nous le rôle de maquisard de la pensée, déjouant la censure et se faufilant entre les obstacles dressés par le dogme religieux et le préjugé, affrontant le doute et les pièges tendus. L’Encyclopédie a eu un succès considérable dès sa parution, mais fut aussi l’entreprise de la pensée la plus surveillée de son temps, c’est d’ailleurs pour cela qu’on la qualifia de « machine de guerre » au service des idées des Lumières. A ce titre, le contraste (noir et blanc) très dur des images gravées nous accompagnant tout au long de l’exposition, prolonge encore cette métaphore de la lutte des lumières de la raison contre l’obscurantisme.

— Sans titre (série « Pitfall »), 2004. Papier peint. 100 x 46 cm (chaque).
— Sans titre (Panorama I, série « Pitfall »), 2004. Lambda print. 40 x 120 cm.
— Sans titre (Panorama U, série « Pitfall »), 2004. Lambda print. 40 x 120 cm.
— Sans titre (Panorama O, série « Pitfall »), 2004. Lambda print. 40 x 120 cm.
— Pitfall, 2004. Film d’animation noir et blanc en boucle. 4’.

AUTRES EVENEMENTS PHOTO