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Pina Bausch, le film

Malgré quelques points faibles (une monotonie due à plusieurs facteurs : la taille du plan, toujours un peu la même, l’angle unique de prise de vue, celui du prince consort, la structure répétitive à base d’extraits d’une durée équivalente ; le parti pris, discutable, de mettre hors champ la chorégraphe, pour ne pas faire d’ombre au film « officiel » sur elle, celui du cinéaste Wim Wenders qui sera étrenné à la Berlinale ou au festival de Cannes ; le côté « morceaux choisis », dans un premier temps excitant, mais qui peut se révéler à la longue un peu frustrant), le « film » — on dit film alors que la pellicule n’est pratiquement plus utilisée à l’ère du tout numérique — se laisse voir. Il est unique dans son genre.

Certains grincheux — il y en a toujours eu et l’espèce ne paraît pas en voie d’extinction — disent déjà que c’était mieux avant. Que l’âge d’or de Pina Bausch date de la fin des années 70, au début des eighties — ce qui signifie en un sens qu’elle a fait son temps. En fait, la chorégraphe a toujours été ce qu’en montre Jérôme Cassou : un style propre, délié, fluide, sinueux — qui s’est insinué entre le monde de l’opéra, du théâtre et de la danse et a fini par s’imposer, par se distinguer de toutes ces expressions, de toutes les gestuelles, de toutes les manières ou matières chorégraphiques.

Avec un humour qui, parfois, faisait sourire — et rire, trop bruyamment sans doute, le large public du théâtre de Sarah Bernhardt, un peu sur la défensive.
Une forme mineure, cabaretière, élevée au rang de l’art opératique par lequel la chorégraphe s’imposa à ses débuts.
Un rapport somme toute traditionnel à la musique. La danse en parfait accord avec son support rythmique et harmonique — la zizique et la danse en concordance.

La nostalgie de toute une génération — celle du théâtre dansé, de la danse d’expression : Susanne Linke, Reinhilde Hoffmann, celle du théâtre filmé d’un Rainer Werner Fassbinder —, pas vraiment à l’aise dans l’Allemagne d’après-guerre. Une mélancolie qui n’a par conséquent rien à voir avec le mal du pays. Plutôt le contraire, même : une attirance pour les lignes de fuite, un goût pour l’exotisme et les pays chaleureux.

Le film présente le résultat spectaculaire, abouti, accessible à tout un chacun, à base d’extraits de pièces données ces dernières années, à Wuppertal et ailleurs. Des solos, bien sûr, mais pas que : des pas de deux et des trios triés sur le volet, tirés de pas moins de huit pièces distinctes.

Ce, sans jamais rien dévoiler du processus créatif. Les répétitions, la dialectique d’appropriation — le vampirisme, si vous voulez—– entre la chorégraphe et ses interprètes ne sauraient être abordés. On est entre gentlemen. Ne parlons pas des choses qui fâchent. Soyons positifs, semble dire le réalisateur.

Autrefois, la chorégraphe avait signé un beau film, La Plainte de l’impératrice, qu’elle avait eu du mal à monter et à diffuser, œuvre qui se présentait comme un collage, un best of, un « event », qui avait désarçonné, et le milieu de la danse et celui du cinéma. Ce film fut l’occasion pour son petit théâtre et son petit monde de se déployer en plein air, à l’échelle de la ville de Wuppertal et de la région rhénane. Toutes les obsessions, les incongruités, les associations et les trouvailles typiquement bauschiennes, ou presque, s’y trouvaient détaillées, parfois en très gros plan.

Le goût du coq-à-l’âne de la chorégraphe justifie, si on la tire par la racine des cheveux, la collaboration inattendue, le rapprochement fortuit, l’accouplement poétique entre elle et le réalisateur. Le duo « Pina-Cassou » peut aussi s’énoncer : « Jérôme-Bausch ».

Bien que La Plainte soit un chef d’œuvre méconnu ou mésestimé, la question de l’uniformité rythmique s’y pose, comme dans le film de Cassou.

Est-ce dû à la juxtaposition d’éléments qui, malgré leur intensité, finissent par se neutraliser ? Au principe libéral (laissez-vous aller, laissez-vous faire, allez vous faire voir !), anti-interventionniste du réalisateur (aucun sous-titre, pas l’once d’un commentaire, pas de grosse voix-off explicative) qui donne cette impression de vidéo-clip alenti comme un vieil épisode de Derrick ? Ou, plus prosaïquement, à l’enchaînement d’une suite de « numéros », de music-hall, d’acteurs, de virtuoses de la danse, qui durent le temps de quelques chansons nous berçant comme le ferait un métronome bloqué sur un même tempo ?

Toujours est-il que le film rend objectivement compte de la danse de Pina Bausch. Surtout, par rapport aux productions auxquelles on est habitué (documentaire pour Arte, portrait impressionniste de Chantal Akerman, captations intégrales d’Herbert Rach, etc.), il nous rend proches les danseurs. Il est rare, et pour ainsi dire unique, que des plans serrés nous montrent des interprètes, comme cela, en pleine action. On reconnaît au passage les vétérans de la troupe initiale (le finale est un clin d’œil à Dominique Mercy).

Et on découvre avec plaisir de nouvelles têtes. On est, en particulier, épaté par le jeu, l’expression dramatique et la qualité gestuelle de la jeune danseuse marseillaise Clémentine Deluy. Aucun doute : nous aurons l’occasion de reparler de cette nouvelle venue, de cette sensationnelle recrue.

La forme du florilège empruntée par le réalisateur rend parfaitement hommage à la chorégraphe disparue. Avec légèreté et élégance.

Jérôme Cassou, Pina Bausch (2009), 75 min
— Chorégraphie et mise en scène : Pina Bausch

— Scénographie et projection vidéo : Peter Pabst

— Costumes : Marion Cito

— Collaboration musicale : Matthias Burkert, Andreas Eisenchneider
— Interprètes : Regina Advento, Ruth Amarante, Pablo Aran Gimeno, Rainer Behr, Andrey Berezin, Damiano Ottavio Bigi, Clémentine Deluy, Jo-Ann Endicott, Silvia Farias Heredia, Ditta Miranda Jasjfi, Barbara Kaufmann, Na Young Kim, Daphnis Kokkinos, Eddie Martinez, Mélanie Maurin, Dominique Mercy, Thusnelda Mercy, Pascal Merighi, Cristiana Morganti, Morena Nascimento, Nazareth Panadero, Helena Pikon, Fabien Prioville, Jorge Puerta Armenta, Franko Schmidt, Azusa Seyama, Julie Shanahan, Julie Anne Stanzak, Michael Strecker, Fernando Suels Mendoza, Kenji Takagi, Aida Vainieri, Anna Wehsarg, Tsai-Chin Yu.