ART | CRITIQUE

Pierres rejetées…

PPaul Brannac
@17 Fév 2009

Telle une libellule ratatinée en vol, un petit avion de tourisme coloré gît dans le hall du Musée, aplati d’une grosse pierre. L’auteur de cet attentat aérien façon attaque en canyon, n’en est pas à son premier forfait, chez Jimmie Durham la destruction d’utilitaires par caillou interposé est même devenu un art.

Assis derrière un bureau de formica, en costume de fonctionnaire blasé, Jimmie Durham reçoit une procession de demandeurs qui lui portent leurs objets familiers. La main armée d’une grosse pierre, l’artiste s’évertue, impassible, à bousiller chacun des petits canards en plastique, jouets, boîtes à œufs que lui présentent les quêteurs avant de les gratifier du papier qui les satisfera.

Cousine mutique des Deschiens et de Monsieur Cyclopède, cette vidéo résume assez bien le programme de Jimmie
Nombre de ses actions d’iconoclastie violente, dont les vidéos montrent les procédés et les œuvres les résultats, mettent en scène la revanche du naturel — minéral — ou de l’historique sur les objets courants des sociétés occidentales contemporaines.

La déambulation mène ainsi de chaises crevées en vitrines brisées, de tuyaux de plomberie et de barils sanctifiés, jusqu’à un frigo allégrement lapidé ou au surprenant Something… Perhaps a Fugue or an Elegy (Quelque chose… Peut-être une fugue ou une élégie, 2008). Sur une plateforme de palettes, cette arche rassemble une quantité hétéroclite d’objets et d’images qui, juxtaposés, conforment un long memento mori moderne, quelque chose en effet d’une élégie en rebuts.

Comme le définissait justement Lévi-Strauss, l’artiste tient à la fois du savant et du bricoleur, car l’objet artisanal qu’il confectionne est en même temps objet de connaissance.
Jimmie Durham ne dissimule nullement sa condition de bricoleur, il la revendique plutôt dans l’accomplissement de sa petite entreprise de détournement et de mise à bas, et la double de dérision. Ainsi ses deux Arc de Triomphe for Personal Use (Arc de triomphe à usage personnel, 2007), dont l’un en métal verni jaune est démontable et garni de roulettes; transportable à souhait donc.

De même, non loin des deux ready-made pour ego en souffrance, un mince arbrisseau coloré se ramifie en une cage de bois abritant une cacahuète en forme d’oiseau. A Peanut Shaped Like a Bird (2006) dénote le goût de l’artiste pour les sculptures de très petite taille réalisées à partir d’éléments anodins et minuscules.

Sous verre, l’ensemble Labyrinthic Elements (2007), est pareillement conformé de trente-deux sculptures en bois et trente-deux en métal. Infimes usuels transformés par quelques coups de ciseaux et la pince à linge est faite crocodile. Le groupe compose un petit théâtre de figurines, idoles tour à tour éloignées et réunies par les mains espiègles de Jimmie Durham.

Dans les panneaux de bois brut «blessés» par les balles, dans son urinoir amoché par la chute d’une tête classique en marbre, l’artiste confronte les matériaux de la nature et ceux de l’homme, télescope brutalement les temps artistiques. Car le temps comme la Gorgone pétrifie tout, change en pierres jusqu’aux aliments, tel le repas en vitrine présentant chaque met sous sa forme rocheuse et archaïque.

Témoin du passage du temps, de la marque de la main, la série des lourdes portes de bois supportant le dessin au graphite d’une silhouette fugace, compte parmi les réalisations remarquables. Parmi les multiples expérimentations de Jimmie Durham, qui souffrent le plus souvent de messages un peu courts et d’expressions hâtives, ces portraits ténus intriguent parce qu’ils semblent moins intentionnels, moins chargés de sens, plus libres en somme.

A l’image des dessins au crayon de la fin des années 1990, certes moins réussis mais qui la plupart comportent un œil blessé, ou de l’autoportrait à l’œil noir (Self Portrait with Black Eye and Bruises, photo, 2006), les graphites sur bois dénotent une semblable affliction.
Diffuse, dérobée à la vue par la théâtralité même des opérations destructrices ou des travestissements photogéniques, c’est dans les plus petites œuvres ou sur les surfaces crues des portes de bois, qu’avec le plus de délicatesse cette douleur saillit.

Jimmie Durham
— Painted Self-portrait,  2007. Acrylique et marqueur sur photographie couleur. 70x58cm
— The Ghost in the machine, 2005. Réfrigérateur, marbre et corde. 190x100x100cm
— Self-Portrait with Black Eye and Bruises, 1995-2006. Photographie couleur prise dans un  « Photomaton ». 79x60cm
— Snake Eyes !, 2006. Objets sur planche de bois .125x81cm
— Encore tranquillité, 2008. Avion, pierre. 150 x 860 x 860 cm
— Stoning the Refrigerator, 1996. Performance au Fonds Régional d’Art  Contemporain Champagne-Ardenne
— Jesus (Es geht um die Wurst),1992. Technique mixte. 149 x 110 cm
— Une Blessure par balle,  2007. Technique mixte, bois. 134 x 55 x 78 cm
— A Peanut Shaped like a Bird, 2006. Bois, peinture, cacahuète, mica. 160 x 49 x 47 cm
— Self-portrait as Rosa Levy, 1995-2006. Photographie couleur. 81 x 60,9 cm
— St Frigo, 1996. Réfrigérateur usagé. 132 x 60 x 60 cm.
— Homage to Constantin Brancusi, Number 2,  2007. Bois, peinture, portemanteau à studio de  Alexander Calder  240 x 40 x 40 cm
— La Poursuite du Bonheur, 2002. Film 35 mm transféré sur DVD, 13 minutes
— Labyrinth , 2007. Bois, balles, photographies. Dimensions variables
— Thinking of You, 2008. Acier et aluminium. 300 x 150 x 150 cm
— Sweet, Light, Crude, 2008  25 barils de pétrole – Dimensions variables
— A Stone from François Villon’s House in  Paris, 1996-2009.V itrine brisée et pierre. 100 x 100 x 70 cm

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