LIVRES

Pictural, végétal

La nature et sa variété de formes comme sujet d’exploration. Une exubérance transformée en rythmes abstraits, en compositions colorées, en herbier ornemental et schématique. Des plantes, entre travail de mémoire et création pure, qui font se rencontrer botanique et imagination, science et fiction.

— Éditeurs : Le 19 — Centre régional d’Art contemporain, Montbéliard / Galerie Baudoin-Lebon, Paris
— Année : 2002
— Format : 24 x 15 cm
— Illustrations : nombreuses, en couleurs
— Pages : non paginé
— Langue : français
— ISBN : 2-910026-6505
— Prix : 13 €

Présentation
par Jean-Christophe Bailly

De l’art abstrait pictural, Anne-Marie Pécheur provient : un travail long et patient sur la saturation de la surface, une sorte de récapitulation des jeux de forces d’un « informel » libre et discontinu. Mais ce qu’elle a rencontré je crois, au sein de ce travail, c’est qu’au fond l’informel n’existait pas, c’est que dans le chaos apparaissait toujours une tension et que les points, les surfaces, les lignes finissaient toujours par composer quelque chose qui les tirait hors d’eux-mêmes : non pas vers la figure en tant que telle mais vers une autonomie formelle plus grande encore. Et c’est ici qu’Anne-Marie Pécheur est, si je puis le dire ainsi, tombée sur le haricot. Lequel, avec ses cosses, graines et pédoncules, lui est apparu comme une sculpture évolutive, comme un « work in progress » fascinant et jovial. Non pas un motif, mais un exemple, un modèle déposé et oublié de cette autonomie formelle supérieure. Et l’effet « cahiers » a suivi, avec le haricot décomposé en pseudo-haricot, puis avec d’autres plantes, reconnaissables ou non, et un herbier est venu, qui n’est ni réel ni abstrait, ni, il faut l’ajouter aussitôt, fantastique.

Car si elles se déploient bel et bien dans l’imaginaire, les « plantes » d’Anne-Marie Pécheur ne sont pas des créations pures et simples, ce sont des boutures ou plus précisément encore, des greffes. Des greffes où l’art abstrait incorporé comme mémoire fonctionne comme sujet, et où le monde végétal élu pour sa puissance formatrice fonctionne comme greffon. Et si l’on tient à raconter une genèse, on pourrait dire que les premières peintures ou les premiers dessins d’Anne-Marie Pécheur sont comme le compost pictural qui préparait la venue de ce qu’on peut voir maintenant, car c’est véritablement nourries de cette matière qu’elles viennent, les formes d’aujourd’hui, les formes formées et détourées, les formes hybrides et paradoxales de ces cahiers d’expériences qui parfois deviennent des tableaux.

Maintenant l’on peut regarder, et l’on voit, l’on voit cette variation infinie, ces feuilles détachées, l’on voit comment cela se détache sur la nuit, comment cela se comporte avec la liberté d’un travail de rêve, et comment ce rêve pictural, ce rêve de coloriage et de découpage transite, comment il accueille en lui des devenirs-méduse et des devenirs-chouette ou lapin, comme si les hétérotrophes, de même qu’en la nature, étaient admis à visiter le monde qui les porte et les nourrit. Une enfance de l’art est ici retrouvée, avec ces devenirs, avec ces rendez-vous prolixes où la couleur s’ébroue comme chez elle et où rien ne vient perturber son libre jeu de contagions, de liserés, de fondus-enchaînés et d’écarts soudains: pseudo-cactus ocre-fraise entouré de lunules grises et bleues sur fond vert d’eau, plante-oiseau blanche sur fond rouge, champignon-méduse bleu strié de rouge sur fond blanc, carotte-feuille rouge et givre sur fond orangé, oiseau chlorophylle vert et bleu sur fond lie-de-vin zébré de blanc, tels pourraient être les titres, si l’on voulait, si l’on en avait besoin, de ces improvisations, mais on le voit aussitôt, par-delà le plaisir d’un transfert de fantaisie à la langue, il ne reste rien, rien de ces créatures dans ce qui pourrait les nommer. Ici, nul besoin d’une taxinomie, nul désir de fixer ce qui justement se montre en partance, nous n’avons affaire qu’à des glissements ou à ce que Gilles Deleuze appelait des ritournelles, et s’il y avait une musique pour accompagner ces dessins, ces extraits d’un monde en fête et perpétuellement visité, ce seraient ces merveilleux chants que les Yi du Yunnan exécutent sur des feuilles d’arbres, semblables à ceux des paysans suivant les bœufs au labour, en France, autrefois.

(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions Le 19 — Centre régional d’art contemporain de Montbéliard)