PHOTO | CRITIQUE

Photographies 1996-2009

PÉtienne Helmer
@12 Juin 2009

Ce n’est pas une tonalité poétique qu’Anne-Lise Broyer donne à ses images. C’est, plus magistralement, la photographie comme poésie qu’elle propose, avec toute la retenue et la finesse d’une juste distance au réel.

Quel pouvoir a la photographie, qui nous transporte dans d’autres mondes sans nous arracher tout à fait à celui-ci! Ainsi d’Anne-Lise Broyer dont le travail mêle poésie, puissance d’évocation et de réflexion. Un style affirmé s’y déploie, centré sur la matérialité toute graphique du noir et du blanc, mais avec des accents toutefois différents dans les trois œuvres présentées à la Galerie VU.

Images, compositions graphiques d’un bleu profond, et textes poétiques se mêlent dans Le Courage des oiseaux et La chanson bleue, titres éponymes des chansons respectives de Dominique A et Stephan Eicher. Le rapport entre les images et les textes, étirés en deux longues bandes selon un principe d’alternance, n’a rien d’évident sans être non plus gratuit: sans doute une invitation à l’imagination libre, à laquelle se prête le ton mélancolique de cette œuvre.

Au Roi du bois est une série de petites photos en noir et blanc, se détachant sur fond blanc éclatant. Elles représentent principalement des passages dans les bois ou des taillis, ainsi que des détails de tableaux.
Le titre fait référence notamment à un texte de Pierre Michon, qui décrit l’éveil du regard d’un jeune pâtre: tapi dans la forêt, il assiste par hasard à l’apparition d’une femme descendue de son carrosse pour satisfaire un besoin naturel. Il deviendra par la suite l’assistant de Claude Lorrain.
Qu’y avait-il là qui pût captiver ses yeux? C’est cette même question que posent les photographies de cette série: qu’y a-t-il à voir, dans ces fragments minuscules? Rien, de prime abord, dans la confusion des bois et l’isolement des détails, parfois déformés sous l’effet de la perspective photographique. Jusqu’à ce que, dans la patience du regard et sa proximité qu’impose le format, un ordre secret apparaisse, fasse vibrer le minuscule — lieu ou détail pictural — d’une aura magique, puis s’évanouisse dès que l’on s’écarte du point de vue qui nous l’a révélé. La photographie est ici puissance d’épiphanie, miracle d’apparition.

C’est davantage la portée évocatrice de l’image et sa nature de trace qui sont à l’œuvre dans Le Ciel gris s’élevant (paraissait plus grand). D’un format nettement plus grand que les précédentes, proche de celui du tableau, les images de cette série sont des vues de la ferme familiale, vidée avant d’être vendue. Leur disposition dans l’espace de la galerie mime la configuration de la maison, des mots à même le sol indiquant la séparation des pièces.
Il ne s’agit pas de reproduire un lieu mais de rendre présent le travail de la mémoire dans l’édification du lieu, à mi-chemin entre réalité et souvenirs reconstruits. Tout, dans ce dispositif, y contribue: l’espace entre les images, qui invite à imaginer le lien spatial absent, leur accrochage à la hauteur moyenne du regard qui permet au spectateur comme de plonger dans certaines pièces, enfin le noir et blanc d’un grain épais et légèrement trouble, comme sont les souvenirs.

Ce n’est pas une tonalité poétique qu’Anne-Lise Broyer donne à ses images. C’est, plus magistralement, la photographie comme poésie qu’elle propose, avec toute la retenue et la finesse d’une juste distance au réel.

Anne-Lise Broyer
— Manziat, lieu dit La Salle, 2004. 11 x 16,5 cm.
— Naples, Bleu, Saint-Aignan, 2007. Dimensions variables.
— Paris, 2008. 6 x 9 cm.
— Anne-Laure, 2008. 75 x 50 cm.
— Cluny, 1998. 9 x 6 cm.

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