ART | CRITIQUE

Philippe Ramette

PPierre-Évariste Douaire
@12 Jan 2008

Perché en haut des cimes ou des bâtiments, Ramette prend de la hauteur et contemple notre petit monde. Artiste "icarien" et contemplatif, ses postures s’affichent sur des photos-posters.

De l’aveu même de Philippe Ramette, la première exposition que lui avait consacré la galerie Xippas était une accumulation de dessins, prothèses (l’artiste nomme ainsi les objets qu’il invente), photographies. Le besoin de produire et de faire voir était d’autant plus grand qu’il n’avait pas exposé cette année-là. Pour le novice, cette exposition était une explosion, un feu d’artifice, une suite d’utopies à contempler ou à tester. A ce besoin irrépressible de tout montrer, succède une deuxième exposition, qui tente de montrer un point de vue particulier d’une production, commencée dans les années 90.

Comment naissent les idées ? Comment passe-t-on à l’acte ? Quels chemins emprunte la création ? Toutes ces questions trouvent une réponse dans les dessins et les prothèses préparatoires exposés. La production 2003 de Philippe Ramette est un parcours qui nous conduit à un résultat photographique final. Les clichés, immenses, représentent l’artiste dans des positions méditatives suspendues. Il est assis sur le rebord d’une fenêtre, d’une corniche, accroché entre terre et ciel, posé en équerre sur une table, etc. L’ensemble est renversant, le tout rejette avec force les lois de la gravitation.

Ce travail pourrait sembler bien léger, facile à réaliser, être le résultat d’une palette graphique, la fusion de deux images collées sur Photoshop, mais il n’en est rien, car chaque Promenade ou Contemplation irrationnelle est le fruit d’une longue prise de vue. Une vidéo nous montre l’artiste harnaché à un arbre. Ses assistants lui donnent des conseils pour prendre la bonne attitude. Le travail est considérable, la main d’œuvre nécessaire, et les gros moyens, une grue par exemple, indispensables.

Malgré les postures incongrues, toutes en équilibre, Philippe Ramette se pose comme un observateur du monde. Comme un ermite retiré de la société, il regarde du haut des sommets, des paysages urbains, des intérieurs domestiques ou des rivages de bord de mer. Son attitude est celle du Penseur de Rodin, du Voyageur devant la mer de nuage de Friedriech. Son regard se projette par dessus les cimes et par-delà les fenêtres aux doubles vitrages de nos immeubles. Sa posture nécessite l’utilisation de prothèses, capable de maintenir son corps en lévitation. Pour marcher sur les troncs des arbres, sur la pierre des falaises, il doit se sangler d’une colonne vertébrale en métal, qu’il dissimule sous son costume. L’Envol d’Yves Klein ou les One Minute Sculpture d’Erwin Wurm sont une filiation « icarienne » à ses Contemplations.

Brueghel avec la Chute d’Icare est un des premiers à peindre, avec force, ce qui est devenu incontournable dans l’art contemporain. La chute est devenue une figure évidente de l’art. Christine Buci-Glucksmann parle de « l’icarisme » en art, Jean-Yves Jouannais aime à citer cet artiste obèse californien, qui est photographié en train de tomber. Depuis L’Envol de Klein, l’art ne cesse de trébucher, de se casser la gueule, il ne se rattrape pas. Cette courte histoire de l’art a des filiations lointaines et picturales, elle a à voir, aussi, avec la philosophie. Nietzsche est l’auteur d’une figure « icarienne » majeure. Dans Zarathoustra, son danseur de corde, tel un ange déchu, tombe et meurt. De nos jours, l’artiste est devenu cet équilibriste, ce trapéziste volant, son chemin se réduit à un simple filin. Il est comme un oiseau sans plumage ni ailes, pris entre l’ascension et la chute.

Philippe Ramette appartient à cette catégorie d’artistes de la chute, mais il préfère se voir comme un artiste contemplatif, irrationnel. Il rejette la peur que l’on peut éprouver pour lui. La peur de tomber ne l’effleure pas, il est comme les philosophes stoïciens, c’est-à-dire capable de méditer des années durant, en haut d’un mat de cocagne.

— Philippe Ramette. Catalogue rationnel, Paris : Galerie Xippas, 2004.

Philippe Ramette
— Balance, 2003. Technique mixte. 405 x 35 x 6 cm.
— 13 dessins préparatoires, 2003. Encre sur papier. 32 x 24 cm et 52 x 42 cm.
— Paresse irrationnelle, 2003. Photo couleur. 150 x 120 cm.
— Métaphore photographique, 2003. Photo couleur. 150 x 120 cm.
— Inversion de pesanteur, 2003. Photo couleur. 150 x 120 cm.
— Ascension rationnelle, 2003. Photo couleur. 150 x 120 cm.
— Contemplation irrationnelle, 2003. Photo couleur. 150 x 120 cm.
— Crise de désinvolture, 2003. Photo couleur. 150 x 120 cm.
— Prothèse (ascension) , 2003. Sculpture en métal. 18 x 40 x 140 cm.
— Prothèse (inversion 1) , 2003. Sculpture en métal. 14 x 53 x 14 cm.
— Prothèse (contemplation) , 2003. Sculpture en métal, socle en bois. 40 x 20 x 97 cm.

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