ART | CRITIQUE

Philippe Parreno

PMuriel Denet
@21 Juin 2009

L’exposition de Philippe Parreno au Centre Pompidou est l’un des quatre moments d’une rétrospective éclatée dans le temps et l’espace (Paris, Dublin, Zurich, New York). Rien de surprenant pour une œuvre qui fait de l’exposition son objet, et du temps son lieu.

L’œuvre-objet, qui cristallise un processus, accrochée aux cimaises, ou installée dans l’espace du cube blanc, a disparu, ou presque. Ce qu’il en reste, chez Philippe Parreno, est une dispersion d’indices et d’images, qui reconfigurent un espace/temps en un monde autonome et ouvert.

Que voit-on à Beaubourg ?
Après le passage sous une marquise lumineuse et clignotante, clin d’œil à celles qui surplombent l’entrée des cinémas américains, se déploient quasiment vides les 1200 m2 de la Galerie Sud, tapissés d’une moquette rouge Balsan, intitulée 31 janvier 1977, soit la date d’ouverture du Centre Pompidou.
Une configuration qui annonce davantage une cérémonie ou un spectacle, qu’une exposition. Ce sera du cinéma, pour une programmation en boucle, de celle qui redouble «le temps en boucle» que produit toute exposition. Une boucle qui va en modeler l’espace et le temps, balancer le spectateur entre ombre et lumière, intérieur et extérieur, ici et maintenant et là-bas, le 8 juin 1968 — première des dates d’une «frise chronologique» qui rythme, et délimite les quatre dernières décennies, comme espace dans lequel se déploie une biographie choisie et illustrée de l’artiste.

Extérieur jour. Les baies vitrées de la galerie offrent un magnifique plan-séquence panoramique sur la rue Saint-Merri, la place Stravinsky, ses fontaines animées, ses cafés et la foule bariolée des parisiens et des touristes qui glisse sous le soleil.
Plan sonorisé par la diffusion d’un bruissement de rue et de foule urbaines: entre la déconnection (la vitre qui sépare) et le raccord (le son rapporté) s’ouvre une de ces petites failles chères à l’artiste, par laquelle la fiction s’engouffre dans le réel, ou, ce qui revient au même, «le réel crée de la fiction».

Intérieur nuit. Les rideaux descendent, mécanique bien huilée. Extinction des lumières, la pénombre gagne, le spectateur pivote sur lui-même, et un projecteur 70 mm se met en branle.
Sur le grand écran qui barre la salle, file un travelling syncopé pour un hommage à Robert F. Kennedy, ou plus précisément au train qui a ramené son corps de New York à Washington, ce 8 juin 1968. La caméra subjective (le train ou le mort) avale le défilé des rails comme celui de la pellicule, balaie les bas-côtés, s’attarde parfois sur ces Américains de tous âges, de toutes conditions, blancs et noirs, éparpillés le long de la voie, surgis d’on ne sait où, en bleu de travail ou en maillot de bain, proches, lointains, figés dans le recueillement, perdus dans la végétation luxuriante de juin, qui nous regardent, nous photographient ou nous filment, nous spectateurs transportés dans le contre-champ de ces milliers d’images-souvenirs invisibles.

La projection finie, les rideaux se relèvent. La rue et son incessant défilé reprennent le dessus. Dans la lumière de juin, un sapin de Noël massif, bloc de métal peint, fait office de «monument de temps», puisque c’est son inutilité temporaire qui le fait œuvre, jusqu’en décembre.
Plus loin adossées au mur, les pancartes à réactiver de No More Reality, qui le sont trois fois par semaine par l’Atelier des enfants du Centre. Un mur sérigraphié de pigments phosphorescents en garde la mémoire, qu’il délivre dans l’obscurité: un théâtre d’ombres, joué par les enfants agitant les marionnettes confectionnées par Philippe Parreno à partir de personnages de l’histoire de l’art moderne, découpés dans les posters du Centre Pompidou, et autres céphalopodes de bandes dessinées.

Plaquées au plafond, plus légères que l’air, les fameuses bulles que Philippe Parreno mit à la disposition de la CGT pour une manifestation en 1997. Désormais muettes, mais réfléchissantes, elles répètent, flottantes, le rouge de la moquette.

Slogans éteints, enfance perdue, objets momentanément abandonnés ça et là, dans l’attente d’une possible réactivation, temps et foule qui s’écoulent, ombres et morts, la Galerie Sud est hantée de spectres mélancoliques, à forte teneur fictionnelle, qu’un rien réanime.
C’est bien à la lisière qui ne fait plus sens entre fiction et réel, entre expériences médiates et immédiates, que Philippe Parreno invite à s’approprier un mode poétique d’être au monde, qui compose avec les choses et les images, jamais  contre elles, sans résistance ni soumission.

Philippe Parreno
— Marquee, 2009. Plexiglas, cadre aluminium, tubes néon, ampoules
— Fraught Times: C’est une oeuvre d’art pendant onze mois de l’année et en décembre c’est Noël, 2008. Fonte aluminium, peinture.
— Speech Bubbles, 2009. Ballons en Mylar, hélium.
— June 8, 1968, 2009. Film 70mm, env. 8 min.
— No More Reality (fin), 1993–2009. Marionnettes, plastique, posters d’oeuvres d’art, machine à neige.
— Fade to Black, 2009. Sérigraphie une couleur sur papier, encre phosphorescente.
— 31 janvier 1977, 2009. Moquette rouge Balsan « Best », coloris 580. Dimensions variables.

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