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Philippe Decrauzat

La notion de transfert est au cœur de l’œuvre du jeune artiste suisse que ce soit par une mise en mouvement des images ou par le passage d’une image d’un support à l’autre.
Dans le premier espace de la galerie, rue Louise Weiss, l’installation Lanquidity composée de cinq toiles hypnotise jusqu’à l’aveuglement. Une vague de stries noires vibrantes les traverse, dans une onde de choc. La vision de Phillipe Decrauzat brouille, on cligne des yeux devant ce traumatisme optique. Les toiles de l’artiste métamorphosent les modalités perceptives de la peinture et dynamisent le regard.

En s’approchant, il apparaît que la surface des toiles est plane, immobile et statique. Utilisant le vocabulaire de l’op art (optical art), les toiles créent l’illusion du mouvement à partir d’effets optiques de lignes géométriques fortement contrastées. On pense tout de suite aux tableaux de Bridget Riley. Là où cette dernière combine harmonie esthétique et agression optique, Philippe Decrauzat oscille, lui, entre abstraction académique et design commercial.

Un vent souffle sur les toiles réintroduisant le facteur temporel au sein d’un dispositif qui n’est plus seulement spatial. Le regard déstabilisé suit une histoire en cinq temps, une vague partitionnée. Le châssis participe également de cette illusion en suivant l’ondulation. Cependant les shaped canvas sont tranchées net sur les côtés comme si l’artiste avait découpé cette longue pellicule gondolée en cinq séquences: cinq arrêts sur images, qui mis bout à bout, rappellent la technique cinématographique.

Dans le second espace de la galerie, rue Duchefdelaville, deux toiles rayées formalisent également un mouvement. Accolées, elles évoqueraient un jeu de domino dont les extrémités permettent la transition visuelle par un effet de dégradé : du rouge au noir et du noir au blanc.

De manière logique, la peinture du mouvement de Philippe Decrauzat louche du côté du cinéma. Le film 16 mm screen-o-scope est composé d’images provenant du long-métrage Rashomon d’Akira Kurosawa. Les plans utilisés par l’artiste sont ceux des transitions et des changements d’état des personnages: sur une route bordée d’arbres, une caméra fixe le soleil à travers les feuillages; scintillement et papillotement des battements de la lumière.
Philippe Decrauzat retravaille ces plans pour obtenir un résultat plus graphique qui évoque, selon les contrastes et les nuances, des bactéries, des étoiles pulsar ou encore les étincelles d’un feu d’artifice, du big-bang. En conjuguant l’effet stroboscopique aux images du soleil, le film convoque l’histoire des phénomènes visuels de l’éblouissement à la convulsion rétinienne.

La saccade optique est produite par des intermittences de lumière et d’obscurité. Accentuées par le mitraillage du projecteur Bauer, les sensations du spectateur sont agressées par l’effet flicker du film.

L’exposition de Philippe Decrauzat a ébranlé nos certitudes perceptives.
Le mouvement, décortiqué entre «pause» et «avance rapide» est repensé à l’image d’un film. Les pulsations lentes ou saccadées de ce travail témoignent d’un conflit: son œuvre permet-elle le retour de l’œil par un éclairage moderne ou nous aveugle-t-elle tout simplement?

Liste des œuvres
— Phillipe Decrauzat, Lanquidity (I-V), 2010. Acrylique sur toile. 218 x 220 cm chacune.
— Phillipe Decrauzat, screen-o-scope, 2010. Film 16mm. 4 min15s.
— Phillipe Decrauzat, Untitled I & II, 2010. Acrylique sur toile.180 x 90 cm chacune.
— Phillipe Decrauzat, Man The Square II, 2010. Peinture sur bois, acier. 288,4 x 279 x 5 cm.

Publications
Philippe Decrauzat, JRP|Ringier, Zurich, 2007.