ART | CRITIQUE

Philippe Bazin

PPerin-Emel YavuzPhilippe Bazin
@12 Jan 2008

En 1996, Philippe Bazin commençait un travail sur les détenus de prison. Devant la difficulté de l’exposer dans le présent d’alors, il l’a laissé inachevé jusqu’à le reprendre et lui donner la forme que l’on peut voir en ce moment à la galerie Anne Barrault.

Le couple conceptuel est le même que dans les séries précédentes. Qu’il s’agisse des nouveaux-nés, des personnes âgées ou des aliénés, le portrait s’articule avec l’environnement institutionnel dans lequel il vit. Ici, à nouveau, les cinq portraits existent dans le rapport à leur contexte, l’univers carcéral.

En noir et blanc, pris de face, en plan très rapproché et développés en grand format, ces cinq portraits de détenus sont accompagnés de cinq vidéos d’une heure de paysages urbains ou champêtres filmés aux alentours de centres pénitentiaires : Fleury-Mérogis, Fresnes, Villepinte, Loos et Bois-d’Arcy.
Or, ces vidéos se développent dans un temps étrange, fixe et mouvant à la fois, comme le sont les portraits des détenus. Fixes, par le fait du médium photographique. Mouvants, par la «pénétrance» de l’objectif qui tend à extraire la singularité de chacun d’eux. Évitant tout psychologisme, chaque portrait se définit alors par son être-là, «l’affirmation d’une présence au monde» comme l’écrit Philippe Bazin.

La relation thématique qui unit les portraits aux vidéos peut apparaître évidente. Les premiers figurent l’enfermement, l’immobilité et la peine ; les seconds l’espace ouvert, le mouvement et la liberté. L’impossibilité de leur coprésence les oppose certes, mais les unit à la fois.
Ces deux mondes ne peuvent se fondre. Absents l’un à l’autre, ils ne peuvent que se retrouver dans leur propre présence, tout invisible soit-elle. Les paysages sont banals. Ce ne sont pas ceux qui retiennent en général l’attention du spectateur par quelque note esthétique ou anecdotique que ce soit. Pourtant ils sont là, sous nos yeux qui ne les voient pas.
Le plan-séquence, fixe, pointe leur présence. Les détenus, derrière les murs des prisons, tout aussi invisibles, sont eux aussi bien là. Le temps de la pose, leurs visages réapparaissent dans la société.

C’est par la simplicité des moyens utilisés que ce travail interroge la possibilité de montrer l’univers carcéral. Des paysages pour répondre à des visages de détenus. Les paysages pris aux alentours des prisons — sans les montrer — donnent tout son sens à l’image de l’écran comme fenêtre.
Si celle-ci est courue, le stéréotype n’en est pas moins évité par l’humilité du langage employé. Dépourvu de tout pathos, il pose la réalité de ces hommes, en dehors et «en dedans» du monde, par la juxtaposition de deux temps — l’un arrêté et l’autre en mouvement —, de deux univers — l’un en noir et blanc et l’autre en couleur —, et par la confrontation de leur regard au monde. Aucun jugement n’est porté.

Seule une photographie ouvre ce dialogue immuable entre le prisonnier et l’extérieur. Il s’agit d’un paysage de bord de mer, en Écosse. Situé sur le mur du fond de la galerie, il se place comme le cinéma a pu l’utiliser en plan final dans Les 400 coups de François Truffaut ou Sweet Sixteen de Ken Loach. Sans résolution, il s’ouvre sur une symbolique tout aussi ambivalente que critique: la libération ou l’impasse.

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