ART | CRITIQUE

Petites compositions entre amis. Séquence 3

PAlexandre Quoi
@12 Jan 2008

Suite et fin d’une exposition évolutive mettant l’accent sur les processus de création et les modalités de perception. échanges et distances, imagination de l’ailleurs et expérience de l’altérité : les travaux réunis de Loris Gréaud, Alban Hajdinaj, Roman Ondak et Pratchaya Phinthong ouvrent une perspective commune de dialogue marquée par la fiction.

Le singulier projet d’exposition collective conduit ces derniers mois par la galerie gb agency livre ses derniers développements. Dans cette ultime séquence de «Petites compositions entre amis», le phénomène de résonance entre les œuvres continue de jouer efficacement. Subtiles et complexes à la fois, les propositions peuvent certes se montrer rétives à la compréhension la plus immédiate, mais n’en sont pas moins capables d’activer les sens du spectateur ou d’alimenter son imaginaire et sa réflexion.

La visite de ce dernier commence par la lecture d’une «Interview», reproduite sur un mur, à proximité de l’entrée de la galerie. Conçue récemment par Roman Ondak, cette discussion comporte trois interlocuteurs interchangeables — en l’occurrence, l’artiste lui-même et les deux galeristes désignées par leurs prénoms.
Derrière la banalité du propos et les phrases toutes faites de ce dialogue à trois voix, on ne tarde pas à déceler des emprunts à un cours d’anglais pour débutants. Ce faisant, l’artiste explore la potentialité narrative d’un montage de deux réalités, dont on peine en vérité à discerner la part respective d’authenticité ou de fiction. Sa préoccupation habituelle pour les mécanismes de transmission et de mémorisation se manifeste à cette occasion dans une mise en évidence du caractère formaté du langage et des codes de communication.

La pratique de la langue anglaise constitue justement un ressort essentiel du périple effectué en 2004 par Pratchaya Phinthong, qui l’a mené depuis Francfort, où il venait d’achever sa formation, à rejoindre sa ville natale de Bangkok par différents moyens de locomotion. Un journal de voyage, intitulé «Summer Memory», et divers objets collectés ou créés au gré de rencontres (sacs se sel, album photo, tableaux, paquets de cigarettes) sont exposés ensemble pour restituer de façon fragmentaire ce que l’artiste appelle une «corrélation de réalité» entre sa mémoire et son expérience liés à ce déplacement solitaire de plusieurs mois.

La vidéo Eye to Eye d’Alban Hajdinaj se penche quant à elle sur le contexte culturel meurtri et ambivalent de l’Albanie. Postée à la fenêtre de sa chambre, une jeune femme observe la façade de la barre d’immeuble d’en face repeinte par l’artiste Liam Gillick, lors de la Biennale d’art contemporain organisée à Tirana en 2003. Une voix-off relate sur un ton neutre et à la troisième personne du singulier son étonnement : «Etrangement, elle se demande si elle vit à l’intérieur d_une peinture qu’une main ou un oeil gigantesque aurait réalisé suivant son bon plaisir».

A la différence d’Anri Sala, dont la vidéo de 2003, Dammi i colori, abordait sous un angle documentaire le projet politique et urbanistique du maire de Tirana, l’artiste Edi Rama, qui visait à rénover la capitale sinistrée de l’Albanie par le ravalement des façades décrépies en de grands aplats et motifs multicolores, son compatriote Alban Hajdinaj opte, de son côté, pour une approche poétique, plus distanciée et critique, qui confronte l’univers intime à l’espace social et pointe la dimension utopique d’une telle tentative de transformation de la vie quotidienne par l’art et la couleur.

Produire des outils, des objets techniques à valeur artistique qui donnent vie à des idées utopiques, c’est bien ce à quoi se consacre le très jeune artiste français Loris Gréaud, nouveau lauréat du prix Paul Ricard décerné il y a peu. Chez lui, l’esprit de collaboration et d’expérimentation scientifique président au processus créatif avec l’assurance des vertus du travail dialogique et du croisement des champs disciplinaires.
Aux frontières de la science-fiction, ses deux pièces stimulent ainsi les sens du spectateur et le projettent vers des contrées lointaines : celle d’une constellation infinie d’étoiles, «M46», dont la composition graphique est transposée dans une peinture pailletée éponyme, ici appliquée sur une porte ; ou même la planète Mars, avec la pulvérisation dans l’espace de la galerie de son odeur synthétique, une fragrance citronnée et métallique que l’artiste a fait élaborer à partir d’informations recueillies par la sonde «Spirit», et suite à des discussions et des recherches entreprises avec l’historien de l’art Pascal Rousseau.

Cette expérience immatérielle vient clore en quelque sorte avec magie le voyage dans l’espace-temps empli d’imaginaire qu’aura su faire partager la galerie gb agency au fil de son cycle d’expositions.

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