ART | CRITIQUE

Perruques, voitures et archéologie contemporaine

PFrançois Salmeron
@17 Avr 2012

Meschac Gaba veut liquider les préjugés que l’on serait tenté de nourrir à propos de la culture africaine. Dans ses œuvres, nul écho n’est fait à une Afrique traditionnelle produisant des œuvres primitives ou authentiques. Ses créations s’efforcent bien plutôt de relever et de mettre en évidence les signes propres à la modernité africaine.

La série Perruques voitures se compose de tresses multicolores recouvrant les carrosseries de différents modèles de véhicules motorisés. Perruques rouge, noire, verte, orange, laissant deviner les arêtes de deux-chevaux, smart, jeep ou de camion de pompiers, constituent ainsi des œuvres pour le moins insolites. En effet, ces drôles d’architectures tressées font écho à New York, et plus particulièrement au quartier d’Harlem, où de nombreux salons reproduisent les coiffures traditionnelles d’Afrique de l’Ouest. Par là, les Perruques voitures témoignent d’un intense métissage des cultures. D’une part, les immigrées africaines d’Harlem créent des coiffures artificielles inspirées de leur pays. Et d’autre part, ces tresses sont également portées au Bénin en retour, tout en ayant été fabriquées à partir de matériaux chinois et de grosses pièces de monnaie.

Enfin, les modèles de voitures témoignent quant à eux des exportations occidentales sur le continent africain. Surtout, ces voitures sont évidemment interrogées en tant que signe extérieur de richesse et qu’archétype du machisme. Les tresses, de leur côté, interrogent également les codes de représentation et de travestissement dont les femmes se parent pour paraître en société. Les Perruques voitures suggèrent ainsi que l’Afrique contemporaine est riche de nombreux métissages issus de la globalisation, et ne se réduit plus uniquement au modèle d’une Afrique ancestrale.
Ces deux objets semblent alors bien emblématiques de l’une des facettes actuelles de l’Afrique de l’Ouest notamment, devenue elle aussi consumériste et cosmopolite à l’heure de la mondialisation, tout en gardant ses propres inspirations et particularismes.

Horloges des indépendances revient sur l’histoire récente du Bénin, en particulier depuis son indépendance, en traçant la généalogie des hommes politiques ayant été au pouvoir depuis. Cette œuvre reprend effectivement l’ordre chronologique dans lequel les présidents et dictateurs se sont succédés depuis les années 60. Des portraits de ces «pères des indépendances» sont ainsi représentés dans le cadran de montres clinquantes, accrochées dans une sorte de mallette-vitrine.
Et comme chaque montre représente une année passée au pouvoir, on se trouve alors face à des répétitions de portraits symbolisant des politiques s’étant longtemps maintenus au pouvoir, ou au contraire, à des successions de portraits différents témoignant de périodes plus instables.

Ces montres se veulent à la fois des hommages aux libérateurs du pays et aux défenseurs de la démocratie. Elles dénoncent aussi les abus de pouvoir et les tyrans se présentant parfois comme des démocrates, mais qui s’avèrent être de véritables «contre façons» politiques, à la manière de ces bracelets dorés, argentés et brillants, qui ne sont faits que de toc. Enfin, cette vitrine comportant une poignée se transforme alors en valise et interroge le poids des années, tout en faisant écho aux mallettes pleines de billets, vecteurs de corruption.

En dernier lieu, Archéologie contemporaine expose sur des tables en verre soutenues par deux globes recouverts de faux billets, des objets rouillés, usés et déglingués issus de notre quotidien, et vise par là à interroger le concept d’authenticité. Effectivement, ces objets paraissant d’un autre âge ont en réalité été collectés chez des habitants de Saint Louis, aux États-Unis, et ont aussitôt été enterrés pendant un an.
Une fois exhumés, ces objets paraissaient ainsi vieillis. Archéologie contemporaine s’interroge donc sur l’histoire que l’on peut attribuer à une œuvre, et à la mystification dont elle peut faire l’objet dans la bulle des marchés de l’art africain notamment, où certaines pièces sont vieillies artificiellement en ayant recours à ce type de procédé. Une dénonciation, finalement, de cette quête éperdue d’authenticité, et une invitation fort originale, consistant à se demander ce que pourraient être nos objets quotidiens pour les générations futures, qui les découvriront et les observeront d’une autre manière que celle dont nous-mêmes les considérons actuellement.

Å’uvres
— Meschac Gaba, Pick up (Série Perruques voitures), 2008. Cheveux artificiels tressés, pièces en métal, buste de mannequin. 64 x 55 x 28 cm
— Meschac Gaba, Truck (Série Perruques voitures), 2008. Cheveux artificiels tressés, pièces en métal, buste de mannequin. 76 x 48 x 30 cm
— Meschac Gaba, Fire Truck (Série Perruques voitures), 2008. Cheveux artificiels tressés, pièces en métal, buste de mannequin. 78 x 50 x 30 cm
— Meschac Gaba, Archéologie contemporaine 1, 2003. Table en verre, deux boules en résine et divers objets, logiciel interactif. 106 x 107 x 196 cm
— Meschac Gaba, Archéologie contemporaine 2, 2003. Table en verre, deux boules en résine, divers objets, logiciel interactif. 116 x 107 x 196 cm

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