ART | CRITIQUE

Pergola

PMoïra Dalant
@14 Avr 2010

Si l'objet pergola est une construction de jardin servant de support aux plantes grimpantes, l'exposition «Pergola» du Palais de Tokyo en appelle plus à la fonction qu'à la forme même de la chose. Interface entre l'extérieur et l'intérieur, la sphère privée et le public, elle donne le fil rouge de l'exposition : l'espace public, ses signes et ses significations dans la société moderne

Une sculpture monumentale accueille le visiteur du Palais de Tokyo: une chaussure, aujourd’hui symbole de courage et de liberté en Irak. Lancée au visage de George W. Bush par le journaliste irakien Muntazer Al-Zaidi en décembre 2008, la chaussure devient monument de gloire et, par sa taille exceptionnelle, célèbre autant la bravoure du geste contestataire qu’il critique le gigantisme de la politique américaine.
Le ciment peint couleur cuivre évoque le bronze, mais le choix d’une matière plus fragile et moins noble n’est pas sans rappeler la signification véhiculée par la sculpture; Laith Al-Amiri fait d’un événement un objet; par métonymie, il crée une installation publique, en l’honneur d’un homme mais aussi d’une population en contestation. Le ciment rappelle que l’objet est celui d’un peuple, créé par et pour lui, et qu’il est destructible.

C’est la sculpture/installation aéro-pneumatique de Serge Spitzer (Re/Search: Bread and Butter With the Ever Present Question of How to Define the Difference Between a Baguette and a Croissant) qui dirige le visiteur vers l’espace d’exposition, et crée des liens entre hall d’entrée et cafétéria, sous-sol en réhabilitation et lieu d’exposition.
Telle une machinerie aux airs duchampiens (Air de Paris de Marcel Duchamp, 1919) qui transporte l’air du sous-sol par un système de capsules propulsées par de l’air; qui véhicule du rien pour ainsi dire.
Ces tubes translucides parcourant le lieu tel un labyrinthe et prenant vie sous l’action des capsules à rien, modélisent nos réseaux quasi-organiques de communication.
Faisant référence aux entrelacs de tuyaux pneumatiques enfouis dans le sous-sol parisien en 1866, l’installation souterraine est ici dévoilée et rendue inutile. Elle semble, à présent, n’avoir pour but que son déploiement quelque peu arbitraire dans l’espace public, et pour ambition de relier extérieur et intérieur en renfermant l’impalpable dans une pure idée-concept. Une belle entrée en matière pour une exposition faite de formes pures et de concepts détournés.

L’exposition «Pergola» met en lumière une idée principale: l’imbrication de l’art dans l’espace public. Une orientation qui justifie la rétrospective de l’œuvre de Charlotte Posenenske. L’artiste allemande, décédée en 1985, pose la question du reproductible et du modifiable. Ses Å“uvres sont produites comme des objets industriels, elles intègrent les réseaux de productions en série et sont accessibles à tous, donc envisageables et modifiables à l’infini. Elles sont de purs produits de l’espace public, sans lequel elles perdent toute nécessité et cohérence. Sous l’aspect d’une simplicité de forme et d’action, le travail de Charlotte Posenenske pose des questions méta-artistiques, celle du statut d’œuvre d’art, celle de la pérennisation paradoxale d’objets conçus pour être éphémères (Les Tubes quadrangulaires série DW, construits en carton) par le fait même de leur reproductibilité et de leur prix bon marché. Plus qu’objets de galerie d’art, les Å“uvres de Charlotte Posenenske ont une fonction sociale et font partie intégrante de l’espace urbain, industriel, public.

Le travail de Raphaël Zarka, quant à lui, prend pour objet l’espace public directement, les formes qui l’habitent et le constituent. Grâce à sa pratique du skateboard, tout élément urbain est utilisable, susceptible de supporter les acrobaties des skateborders, telle une table entre deux surfaces courbes (dans Topographie anecdotée du Skateboard), ou autres objets concaves.
En référence à la Renaissance, et à l’appareil à double canal utilisé par Galilée pour étudier l’isochronisme, Raphaël Zarka reproduit l’instrument dont la forme rappelle celle d’une rampe. L’objet initial devient forme pure qui permet la recréation et l’entrée dans l’imaginaire des espaces qui nous entourent.

Monsieur
, l’installation/parcours de Valentin Carron impose son gigantisme et son mauvais goût dans la dernière galerie, où l’espace est quadrillé par des murs monumentaux recouverts d’un crépi grisâtre.
Envisagée in situ, l’Å“uvre de Valentin Carron est une création palimpseste et ironique d’un paysage architectural de la Suisse aisée de Martigny, son lieu de résidence.
L’installation confronte différents espaces : extérieur et intérieur, public et privé, et interroge l’art lui-même, la valeur artistique. L’artiste s’amuse à répliquer quasiment à l’identique les sculptures de commandes publiques qui ornent la ville de Martigny, tel Unique, une sculpture en métal aux allures de cheval. L’œuvre n’a pas d’intérêt en soi, ce qui importe est la réflexion qu’elle permet sur elle-même et sur les valeurs esthétiques, et sur ce qui est dit «art» ou «non art».

Avec l’œuvre humoristique de Valentin Carron, sociale de Charlotte Posenenske, romantique de Serge Spitzer, l’exposition «Pergola» offre un parcours jouissif à la recherche de ce que signifie la notion d’espace public dans la création contemporaine. Une promenade rendue possible entre l’intime, le lieu imaginé et la réalité historico-esthétique du monde qui nous entoure.

Liste des œuvres (non exhaustive) :
— Laith Al-Amiri, Symbol of Courage, 2009. Sculpture en ciment peint couleur cuivre.
— Valentin Carron, L’inavouable extase, 2010. Polystyrène, fibre de verre, résine acrylique, peinture acrylique. 241 x 123 x 81 cm. Dans l’exposition Monsieur, session Pergola.
— Valentin Carron, Rance club IV, 2010. Mur crépis, dimensions variables.
— Charlotte Posenenske, Vierkantrophe Series DW (tubes quadrangulaires série DW), 1967-2010. Reconstitution autorisée par certificat. Cartons ondulés. Dans l’exposition Rétrospective, session Pergola.
— Serge Spitzer, Re/Search: Bread and Butter with the ever present Question of How to define the difference between a Baguette and a Croissant, 1995-2010. Tubes de plexiglas, éléments de jonction et anneaux, ventilateurs, moteurs, câbles d’acier et câbles électriques, composants électroniques et système informatique.
— Raphaël Zarka, La Draisine, 2009. Réplique de la draisine de l’Aérotrain de Jean Bertin, deux motos Jawa, fer galvanisé, contre-plaqué. 129 x 222 x 446 cm.
— Raphaël Zarka, Bétonnage du déversoir cylindrique du barrage Monticello en aval du lac Berryessa, comté de Napa, Californie, Etats-Unis. Photographie, D.K. Mc Naughton, 4 janvier 1955.
— Raphaël Zarka, Topographie anecdotée du Skateboard, 2008. Vidéo, 40 min.

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