LIVRES

Performance : l’art en action

40 ans de performances : évolution et champs d’action. Une pratique artistique en résonance avec son époque qui a investi toutes les disciplines culturelles (théâtre, danse, musique, etc.). Un ouvrage de référence riche d’exemples, images à l’appui.

— Éditeur : Thames & Hudson, Paris
— Année : 1999
— Format : 25,50 x 28 cm
— Illustrations : 332, dont 123 en couleurs
— Pages : 240
— Langue : français
— ISBN : 2-87811-168-0
— Prix : 45 €

Avant-propos : voilà le temps, voilà l’enregistrement du temps
par Laurie Anderson

Dans les années 1970, jeune artiste de la scène new-yorkaise, j’étais à peu près convaincue que nous faisions tout pour la première fois, que nous inventions une nouvelle forme d’art. Celle-ci était même pourvue d’un nom, un peu maladroit et inélégant certes, aux résonances cependant novatrices, et les critiques comme le publie s’efforcèrent de définir ce « nouvel » hybride qui associait tant de techniques et enfreignait tant de règles censées caractériser ce qu’était l’art. C’est pourquoi, en 1979, quand fut publié l’ouvrage de RoseLee Goldberg, Performance : Live Art 1909 to the Present, je fus frappée de stupeur en découvrant que nos activités s’inscrivaient dans une histoire déjà riche et complexe. Marinetti, Tzara, Ball et Schlemmer surgissaient de ces pages et manifestes, schémas, affiches, décors de scène, événements, happenings, concerts dadaistes et futuristes renaissaient dans toute leur inventivité chaotique et fertile. J’en appréciai plus particulièrement certains détails, tel le compte rendu d’une soirée organisée en 1911 par le « Club des incomparables », qui mettait en scène le Ver de terre cithariste — un ver bien entraîné qui rampait sur les cordes et dont les gouttes de « sueur semblable au mercure » faisaient résonner l’instrument. Dans le présent ouvrage, Goldberg prolonge le récit en suivant ses lignes thématiques et offre, par le truchement des objets photographiques, une analyse pertinente des styles, des idées et du contexte socio-politique.

L’art vivant est un phénomène tout particulièrement éphémère; une fois l’œuvre donnée en public, elle tend à devenir mythe, subsistant sur quelques photographies et bandes magnétiques. Un grand nombre d’artistes qui figurent dans cet ouvrage ne reconstituent que très occasionnellement leurs performances, principalement parce que l’essentiel de l’œuvre — créée par les artistes eux-mêmes — a été conçu précisément pour la voix ou le corps de ces artistes. Il n’existe pas non plus de compagnie au sens théâtral du terme dont la fonction serait de re-présenter l’œuvre, de sorte que la représentation de ce type de travail sous la forme de textes et d’images devient un acte d’imagination.

En raison du fait que j’ai assisté à nombre de performances illustrées ici, les images me sont tout particulièrement évocatrices. Je puis y entendre les voix de Vito Acconci et de Christopher Knowles, revoir la folle vélocité de Molissa Fenley, revivre les grincements d’embrayage, les étincelles et les caddies qui tanguaient dangereusement dans l’obscurité de l’événement créé par La Fura dels Baus. Même si l’on n’a assisté à aucune des œuvres évoquées ici, les images parlent. Les décors, les photographies de plateau et des performances, les photogrammes de film, sont autant d’instantanés vivants d’une forme d’art qui résiste à toute documentation.

J’étais moi-même très fière de ne pas conserver de traces de mon travail : comme celui-ci traitait le plus souvent du temps et de la mémoire, J’estimais que telle était la façon dont il devait être conservé — dans la mémoire du spectateur — accompagné de toutes les distorsions, associations et élaborations inévitables. Mon opinion sur la question de l’enregistrement de ces événements a progressivement évolué, car l’on venait à me faire des remarques telles que : « J’ai bien apprécié ce chien orange que vous aviez dans ce spectacle ! », alors que je n’ai jamais eu de chien orange. C’est ainsi que je commençais à conserver une trace des choses; je ne voulais pas que tout cela disparaisse.

Quand l’art vivant est archivé sur pellicule ou bande sonore, il devient de facto une autre forme d’art — un film ou disque, un autre objet rectangulaire ou circulaire. C’est dans la boîte. Or, l’art vivant demeure continuellement insaisissable. Ce livre dresse le panorama d’une très grande quantité d’œuvres exécutées dans de nombreuses techniques et aux styles très différents; en retraçant les tendances et les affinités, RoseLee Goldberg permet aux œuvres de résonner à travers les images qui en subsistent.

Nombre d’artistes présentés ici sont des amis personnels, certains ont collaboré avec moi, d’autres sont de simples connaissances, et la plupart d’entre eux sont toujours des créateurs qui ne cessent de réinventer leurs vocabulaires et leurs styles; quelques-uns débutent. Il s’agit au sens propre du terme d’un art vivant, d’un art en perpétuel développement et en expansion continue. Et comme il ne cesse d’évoluer, j’en suis venue à penser qu’il était crucial de conserver les œuvres dont il est à l’origine. Mode anarchique et expérimental de notre culture, il ne bénéficie d’aucun soutien de la part des médias, et ceux-ci ne se soucient pas de le consigner. Nous vivons une époque où tout est capté et traité, et adapté pour être glissé dans des boîtes et des catégories, tâche qui se révèle difficile dans le cas de l’art vivant. Les images et les textes de cet ouvrage sont présentés dans l’esprit même de ces œuvres, dans leur évolution et leur réinvention perpétuelles.

(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions Thames & Hudson)

Les auteurs
RoseLee Goldberg est la première historienne à s’être consacrée à l’étude de la performance. Diplômée du Courtauld Institute of Arts, elle a dirigé la Royal College of Art Gallery à Londres et a été conservatrice du Kitchen Center for Video, Music and Performance à New York. En 1990, elle a organisé « Six Evenings of Performance » dans le cadre de l’exposition « High and Low : Modern Art and Popular Culture » au MoMA de New York. Elle enseigne à la New York University et contribue régulièrement à la revue Artforum ainsi qu’à d’autres publications spécialisées.
Laurie Anderson est l’une des principales artistes américaines de performance. Elle est l’auteur, entre autres, de Automotive (1972), United States (1983), Stories from the Nerve Bible (1992-1993) et d’un opéra électronique intitulé Songs and Stories from Moby Dick (1999).