ART | CRITIQUE

Allan McCollum, Perfect Couples & Shapes Spinoffs

PFrançois Salmeron
@23 Juin 2016

Les séries Perfect Couples et Shapes Spinoffs s’inscrivent dans la droite lignée des principes chers à Allan McCollum. Réaliser un vaste système de formes abstraites, réalisées à partir d’associations aléatoires de patrons, et donner l’illusion d’une production de masse, alors que chaque œuvre répertoriée est fabriquée artisanalement, comme une pièce unique.

Figure de proue de l’art conceptuel, Allan McCollum développe depuis les années 1980 une œuvre rigoureuse et systématique qui décline des familles entières de formes abstraites. Les quatre séries que l’on découvre ici nous permettent de remonter le fil du projet de l’artiste américain et d’éprouver sa cohérence, partant des récentes Perfect Couples et Shapes Spinoffs, qui datent de ces dernières années, pour aller jusqu’aux Drawings et Plaster Surrogates, produites respectivement en 1988-1991 et en 1982-1990. Ces séries font écho à une entreprise titanesque, intitulée The Shapes Project, où Allan McCollum affirme vouloir produire une œuvre unique pour chaque habitant de la planète, l’artiste ayant déjà esquissé dans son système informatique près de 214 millions de formes sur les 31 milliards escomptées.

Perfect Couples reprend donc les principes du Shapes Project, à savoir offrir une combinaison de formes abstraites, réalisées à partir d’associations aléatoires de patrons. La série a été élaborée à partir de 6000 dessins uniques, servant de modèles à Allan McCollum pour réaliser des sortes de modules, peints à l’acrylique, regroupés sur de grands panneaux en bois (érable et tilleul). Chaque pièce comporte ainsi deux formes colorées qui, selon les dires de l’artiste, représenteraient un couple photographié dans son espace intime (son lit ou sa chambre par exemple).

Mais cette série n’est pas qu’un pur jeu combinatoire. En effet, on peut également entendre les concepts de «couple» ou de «famille» dans un sens social, et ne pas les réduire uniquement à un souci de systématisme ou de classification des formes. D’une part, on remarque des liens de parenté ou des ressemblances physiques dans la structure de ces formes abstraites. D’autre part, on peut s’imaginer que chaque pièce ébauche un couple, dont les couleurs et les contours se marient ou s’associent avec plus ou moins de grâce. On peut encore observer leur ton, leur vivacité, ou leur relation: la manière dont elles s’accordent, dont elles s’emboitent, ou voir laquelle domine l’autre. L’œuvre d’Allan McCollum, malgré son systématisme assez strict, se pare en fait d’une portée anthropologique inattendue.

On apprend également que chaque pièce a été fabriquée dans l’état du Maine, aux Etats-Unis, selon des techniques traditionnelles. On découvre donc chez Allan McCollum une certaine nostalgie des modes de production anciens, manuels, alors que, de prime abord, on aurait pu penser que ces impressionnantes collections de pièces en bois auraient été produites par des machines, à la chaîne. L’œuvre d’Allan McCollum fait état d’une passionnante contradiction: produire une masse de formes, mais s’assurer que chacune est bel et bien unique; s’apparenter à un procédé de fabrication industriel, mais produire en réalité chaque pièce artisanalement, à la main, en ancrant sa production dans un territoire déterminé, marqué par des traditions et des savoir-faire ancestraux.

Les Shapes Spinoffs que l’on rencontre dans le second espace d’exposition épousent les mêmes préceptes. Six sculptures en frêne, faites manuellement en Allemagne, à l’aide d’un tour à bois, forment une famille, disposées sur des tables. Les objets ne peuvent s’apprécier que dans leur ensemble, il n’est pas possible d’extraire ou d’acheter une pièce séparément, sous peine de détruire la cohésion de chaque groupe. De même, le spectateur navigue d’une pièce à une autre, dans un océan de formes voisines, et n’arrive pas à se focaliser spécifiquement sur une seule pièce. Son regard est sans arrêt renvoyé ou happé ailleurs, vers une forme analogue. Ces œuvres s’apparentent à des toupies, à des bibelots, ou à de gros boulons, comme si toutes été issues, encore une fois, d’une production à la chaîne. Elles dessinent surtout des formes symétriques, à l’instar des Drawings plus anciens qui concluent l’exposition.

En effet, les Drawings occupent tout un mur de la galerie, et proposent des dessins réalisés au graphite, grâce à un gabarit d’architecte, combinant trois parties (une supérieure, une centrale, une inférieure). Présentées lors d’une précédente exposition de l’artiste à la galerie, en 2011, elles nous rappellent de par leur symétrie les tests de Rorschach, et cohabitent avec la série Plaster Surrogates.

Plaster Surrogates aborde le statut de l’œuvre d’art avec malice. Allan McCollum rappelle que l’idée de cette série lui est venue en observant les arrière-plans des films, où quelques tableaux meublent les décors d’intérieur. Il réalise ainsi que l’œuvre d’art n’est pas tant reconnue pour son contenu représentationnel (ce qu’elle figure, les formes qui la caractérisent) que pour son format rectangulaire, c’est-à-dire son cadre. Alors que l’on pourrait croire que les Plaster Surrogates se contentent d’exposer des cadres vides, comme s’il s’agissait de ready-mades, chaque cadre apparaît en fait comme une sculpture de plâtre, peinte à la main, déclinant différents tons de blanc. Une manière d’allier une apparente production de masse avec un procédé manuel, où chaque pièce demeure unique et ne prend son sens que dans un accrochage global.

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