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Pendant que les champs brûlent, Part II

30 Juin - 30 Juil 2009
Vernissage le 30 Juin 2009

Latifah Echakhch travaille à partir d’assemblages mi-poétiques, mi-politiques, d’objets et de sculptures. Les cadres, les compositions et les dessins en deux dimensions qu’elle a sélectionnés, parviennent à transformer l’espace en trois dimensions où elle les installe.

Latifah Echakhch
Pendant que les champs brûlent, Part I
I

Latifa Echakhch a conçu « Pendant que les champs brûlent » sa première exposition personnelle à la galerie Kamel Mennour en deux parties. Un premier acte donc, suivi d’un second pour lequel les pièces montrées au premier auront été démontées, enlevées et remplacées par de nouvelles : l’exposition fermera… et rouvrira.

À l’évidence, le choix d’un cycle et d’une redéfinition des contextes annonce un questionnement expérimental fondé sur des idées de développement et d’attente, ce qui, outre le fait de prolonger la vie de l’exposition elle-même, relance la narration et l’interprétation vers de nouveaux horizons.

Il y a là un effet de réverbération visuelle, agissant comme un accélérateur de sensations lorsque la mémoire des premiers travaux viendra se confronter aux nouveaux pour former un palimpseste spatio-temporel.

La question essentielle est de décider quels sont les champs qui nous sont donnés à explorer – et dans quelle direction cela nous entraîne – dans la mesure où l’acte I de « Pendant que les champs brûlent » se présente au premier abord comme un contexte et un espace dominés par l’idée de silence.

Si l’art a quoi que ce soit de politique ce n’est pas, si l’on en croit Jacques Rancière, dans la façon dont il délivre ses messages, mais dans les relations qu’il tisse entre le visible et ce qui peut en être dit.

Echakhch travaille à partir d’assemblages mi-poétiques mi-politiques d’objets et de sculptures qu’elle utilise un peu comme le ferait un cinéaste, de manière à obtenir que les cadres, les compositions et les dessins en deux dimensions qu’elle a sélectionnés, parviennent à transformer l’espace en trois dimensions où elle les installe.

À chaque stencil une révolution (2007) fait référence au procédé de reprographie à base de papier carbone qui permettait aux radicaux de la fin des années soixante de dupliquer leurs innombrables tracts et affiches révolutionnaires.

Ce travail, un mur recouvert du bleu nuit du papier carbone – représentation archaïque d’une technique de reproduction particulièrement lente comparée à notre technologie numérique – est installé sur les deux niveaux de la galerie Kamel Mennour.

Faisant corps avec le mur, cette pièce est la seule qui restera présente du début de l’acte I à la fin de l’acte II. En transperçant ainsi l’architecture et en se coulant du premier niveau de la galerie au niveau inférieur, elle compose un arrière-plan fixe, à la manière d’une surface picturale ou d’un écran bleuté, devant lequel vont se jouer les scénarios des autres oeuvres présentées – cette fois-ci… et la fois prochaine.

Pour son exposition de 2008 à la Tate Modern, c’est Fantasia (2007) et Speaker’s Corner (2008) qui étaient «projetés» devant À chaque stencil une révolution. Pour Paris, les pièces déjà montrées à Londres se voient adjoindre Sans titre (La Dégradation), un assemblage d’objets comprenant un sabre, une veste d’uniforme, une poignée de boutons dorés et quelques morceaux de tissu étalés au sol.

Ce travail rassemble les conséquences visuelles de la violence ritualisée exercée par l’armée. Il met en scène ce qui reste matériellement après que la sentence radicale prononcée par le système judiciaire et la bureaucratie d’Etat se soit traduite dans la violence gestuelle de la dégradation. Fantasia et Speaker’s Corner abordent le thème de la relation entre l’Etat et l’accès individuel à la liberté de parole et d’action, en prenant pour point de départ le fameux coin du jardin de Hyde Park, endroit particulièrement symbolique politiquement parlant.

Présentés devant Sans titre (La Dégradation), leur propos prend un tour différent; ils nous ramènent en arrière puisque l’installation tire sa référence historique dans l’antisémitisme du meurtre symbolique pratiqué sur la personne du capitaine Alfred Dreyfus par la justice militaire ; d’un côté Hyde Park et sa parole libre, de l’autre le silence ; un silence devenant politique dès l’instant où quiconque se retrouve dans l’impossibilité de faire entendre sa voix.

Les Lacrymoires d’Echakhch, flacons de verre soufflé, sont eux aussi une « anachronie ». Echakhch recrée ici une sorte d’archéologie illusionniste tant a été minutieuse l’attention portée à la réplication des modèles anciens, dans un processus maîtrisé de bout à bout pour obtenir des objets les plus ressemblants possible aux originaux, tant du point de vue de la forme que de l’élaboration technique.

Objets d’art au sens propre, ils pourraient presque s’affranchir de ce statut pour redevenir ce qu’ils furent : des réceptacles utilisés par les Romains pour recueillir les larmes des pleureuses lors des funérailles, et placés ensuite dans les tombeaux avec les chers disparus.

D’après le philosophe et homme d’Etat Francis Bacon, les antiquités seraient les témoins d’une « histoire aux traits effacés », trouvailles de hasard qui, une fois déterrées, échappent de justesse « au naufrage du temps ». Il y a des larmes de peine comme il y a des larmes de joie, mais nous ne saurons jamais quelles émotions ont présidé au scellement de ces Lacrymoires.

En grec, le mot « taxidermie » signifie « donner une forme à la peau ». Dans la même salle que Lacrymoires est également installée la dernière pièce de l’exposition, un corbeau empaillé sur piédestal, allongé sur le dos, les yeux clos.

Prenant le contrepied de la demande habituelle adressée au taxidermiste – recréer un simulacre de vie afin d’effacer une perte par trop douloureuse -, Echakhch lui a au contraire enjoint d’insister justement sur le fait que l’oiseau était raide mort.

Sauf qu’après le trépas de l’animal, sa carcasse se voit arrangée de telle manière à imiter la posture d’un homme mort ; ainsi, au lieu d’évoquer simplement la mort, elle reflète plutôt nos propres conventions, pour ne pas dire nos préventions pathologiques, sur ce que doit être la non-vie.

À l’opposé des pièces muséales, pour lesquelles le regroupement en un même lieu favorise un semblant de renaissance fait d’interrelations et de narrations possibles, Untitled (Craw), adossé seul à son contexte historique, incarne ici le silence de la fin dans la mort de l’objet.

Vernissage
Marid 30 juin 19h-21h30.

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