PHOTO | CRITIQUE

Pékin : le théâtre du peuple

PCécile Costes
@06 Juin 2009

Les photographies composant le reportage d’Ambroise Tezenas, exposées à la galerie Philippe Chaume, ont valeur de témoignage. Bon nombre des Hutongs, ruelles traditionnelles dépeintes dans sa série sur Pékin, n’existent plus aujourd’hui.

Pris entre 2001 et 2005, alors qu’à Pékin la course à la construction de la cité olympique battait son plein, les clichés de ruelles traditionnelles (Hutongs) d’Ambroise Tezenas dessinent les contradictions de la société chinoise contemporaine : entre ombre et lumière, tradition et modernité, nature éblouissante et constructions extensives.

Ces photos laissent aux visiteurs un goût de terre et de fer en bouche. Les Hutongs baignées d’une douce lumière crépusculaire font place aux néons phosphorescents des immeubles fraîchement sortis de terre. Parfois sur les mêmes clichés, deux niveaux de la ville — la traditionnelle et l’hypermoderne — cohabitent, coexistent mais de manière temporaire suggérant déjà l’engloutissement prochain et l’harmonisation future.

De ces décors malades, bancals n’émergent que peu d’êtres humains qui semblent avoir été balayés, oubliés par le vent de modernité qui a démoli leur habitat sur son passage. Les vieilles ruelles sont laissées à l’abandon, attendant leur destruction, il règne sur elles une atmosphère de ville fantôme, exagérée par la vapeur qui s’évade des fenêtres.
La beauté cependant émerge de leur désolation, comme ces cageots de fruits et de légumes, abandonnés dans la poussière et qui étalent leurs couleurs vives et sales dans une lumière blafarde. Ou ce lampion qui libère une lueur rose fendant l’ombre pesant sur les ruines.

Lorsque l’œil du photographe s’attarde sur des hommes, il leur lance un regard observateur, ils sont sujets d’une expérience, d’une vie qu’ils n’ont vraiment pas choisie, d’une décision qui ne leur appartient pas.
Tels des voisins voyeurs, nous pouvons observer dans la nuit l’immeuble d’en face, aux fenêtres larges comme des vitrines copieusement éclairées, clubs de prostitués, appartements et bureaux qui se jouxtent rappelant le film Playtime de Jacques Tati.
Quant à ces hommes, ils jouent aux cartes en riant, semblant oublier que la façade de leur maison n’est plus, et qu’un amas de gravats jonche leur cour.

Ambroise Tézenas a cherché, grâce à son utilisation de la lumière, à rendre esthétique la destruction de la vieille ville pékinoise, et de ses modes de vie traditionnels.
Cette étrange beauté, presque irréelle, renvoie à un monde qui disparaît avant d’avoir eu le temps d’être connu, apprécié, recherché par des yeux extérieurs.
Morte avant d’avoir vécu, sacrifiée sur l’autel de la modernité, la ville s’est transformée d’une manière si rapide et les habitants ont été relogés si loin qu’elle s’est métamorphosée en l’espace de quelques années.
Comme si l’autorité chinoise avait cherché à cacher l’intimité de ses rues, et donc de la société au regard inquisiteur de l’Occident.

Ambroise Tézenas
— Hutong, South of Guangqumen Neidajie
— A Stall In A Hutong Quarter South East Of Dongsishitiao Near The Worker’s Gymnasium
— An Inhabited Hutong Near Around The Drum Tower, Dong Cheung District
— Hutong In Jianguomen Bordering The 2nd Ring Road
— Building Site Around Jinbao Jie, Dongchang District
— The Last Inhabited House In The Razed Quarter East Of Chongwenmen Neidajie
— Hutong Quarter Due For Demolition To The North Of Tiantan Park
— Fruit And Vegetables Shop In A Quarter In The Process Of Demolition, North Of Tiantan Park

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