ART | CRITIQUE

Peintures plasmiques

PEmmanuel Posnic
@12 Jan 2008

Avec «Peintures plasmatiques», Jean-Pierre Bertrand ne fait pas que décomposer l’architecture du tableau (le cadre, la surface, la peinture), il lui donne une autre réalité, beaucoup plus tangible où la peinture prend littéralement corps.

Jean-Pierre Bertrand réalise sa deuxième exposition personnelle chez Michel Rein après «Passing Through» en 2002. Un épisode de quatre ans mis à profit pour revenir avec ses «Peintures plasmiques», quelques tableaux pariant sur la confrontation féconde entre la surface et la matière.

Une confrontation somme toute inscrite depuis longtemps dans l’histoire de l’art. Le travail de Bertrand trouve des points d’accroche formelle dans l’ambition d’un Lucio Fontana lorsque celui-ci repousse les limites spatiales de la toile en la fendant. On peut également penser à Yves Klein, à cette façon de sonder, à la surface du tableau, l’intensité de la couleur et sa capacité à décrire le monde visible et sensible.

Mais la particularité de son travail se trouve ailleurs. Elle réside dans son souci d’adjoindre à cette réflexion sur le support, une véritable logique de présentation. Chaque tableau répond en effet à un ordre déterminé par le temps de sa réalisation. Jean-Pierre Bertrand titre ses pièces du jour de leur achèvement, en prenant uniquement en compte les chiffres et en les rangeant par ordre croissant, de 0 à 9. Devant chaque combinaison de chiffres, l’artiste place un dénominateur commun: RED quand les tableaux (Jean-Pierre Bertrand les appelle plutôt des « formats ») sont à dominante rouge, et Y.G lorsqu’ils mélangent le jaune (yellow) et le vert (green).
Cette précision implacable des titres, qui prend ses racines dans l’exercice de la contrainte, n’a d’égal que l’abstraction dans laquelle elle nous plonge: nous sommes face à un processus de création, manifestement devant une œuvre en train de se faire, au jour le jour (comme l’indiquent les dates d’exécution), sans qu’il nous soit possible pour autant de prendre part à la construction ou au détournement de cette machine à fabriquer.

La peinture de Jean-Pierre Bertrand présente une certaine forme de radicalité difficile à contrecarrer: le protocole des titres, la contrainte qui naît de ce protocole, la mise en place d’une technique de recouvrement des papiers (ils sont imprégnés d’un médium utilisé dans la peinture à l’huile pour les formats Y.G ou apprêtés avec un mélange de miel pour les RED), jusqu’aux cadres, soit très visibles lorsqu’ils sont noirs, soit en retrait lorsqu’ils sont en acier. Rien n’échappe à la règle, rien n’échappe à cette esthétique de l’ordonnance et de l’autorité.

S’arrêter là serait oublier l’essentiel, c’est-à-dire le projet sensible des «Peintures plasmiques».
Jean-Pierre Bertrand ne fait pas que décomposer l’architecture du tableau (le cadre, la surface, la peinture), il lui donne une autre réalité, beaucoup plus tangible où la peinture prend littéralement corps. La Peinture plasmique de Jean-Pierre Bertrand préserve une espèce de fraîcheur très troublante qui la rend fluctuante, tour à tour évanescente et adhérente au cadre, flottante et compacte face au spectateur. Elle s’immisce dans le frêle interstice organique, sous la peau (le cadre) et avant la chair (la surface à peindre).

Nous guettons le moindre affleurement, éventuellement le moindre mouvement, la moindre respiration de la peinture tant celle-ci arrive à s’identifier au fluide sanguin. Les empreintes que réalisent Jean-Pierre Bertrand tendent à extraire la peinture de son état de peinture : son travail ouvre une brèche sur des territoires inédits, l’interstice, la membrane, la transparence, la révélation de la forme par les incidences des rayons lumineux dans le papier.

Une peinture a minima, donc, qui s’accomplit pleinement au contact des spectateurs et que viennent révéler les trois inscriptions au néon placés sur le mur: Acid Juicy, Green Agreement, Pale Incision, autant d’invitations à percer l’énigme de ses surfaces plasmiques.

English translation : Rose Marie Barrientos
Traducciòn española : Maïté Diaz Gonzales

Jean-Pierre Bertrand
— Passing Through, 2002. Vidéo.
— Pale Incision, 2006. Néons.
— Red 00126, 2006. Papier, acrylique, bois, plexiglas, cadre métal. 204 x 154 x 1,5 cm.
— Green Agreement, 2006. Néons.
— Y.G. 0368, 2006. Bois, plexiglas, cadre métal. 204 x 154 x 7 cm.
— Y.G. 01256, 2006. Bois, plexiglas, cadre métal. 204 x 154 x 1,5 cm.
— Red 00136, 2006. Papier, acrylique, bois, plexiglas, cadre métal. 206 x 154 x 1,5 cm.
— Red 0268, 2006. Papier, acrylique, bois, plexiglas, cadre métal. 204 x 154 x 1,5 cm.
— Red 01236, 2006. Papier, acrylique, bois, plexiglas, cadre métal. 204 x 154 x 1,5 cm.
— Acid Juicy, 2006. Néons.

AUTRES EVENEMENTS ART