ART | CRITIQUE

Peintures d’Allemagne

PNatalia Grigorieva
@12 Jan 2008

Suivant une technique du Moyen Age, Martin Kasper représente des lieux d’attente et des cages de zoo désertées par les animaux. Des couleurs sourdes, une inquiétude latente et une froideur rappelant Edward Hopper se jouent de la vanité humaine et tournent en ridicule sa folie des grandeurs.

Les toiles de Martin Kasper présentent généralement des lieux d’attente. Halls de gare, de théâtre, lieux publics, couloirs de métro. Ce sont des endroits que chacun a déjà côtoyés une multitude de fois sans vraiment les détailler, voire sans même les remarquer, des endroits généralement pénibles car bondés.
Mais sur les toiles de Martin Kasper, il n’y a personne. Parfois quelques silhouettes peut-être. Les salles de conférences sont plongées dans le silence, le métro ne voit plus passer de train, les vestibules souffrent de leur propre vide. Il ne reste donc plus que l’architecture, la danse des lignes et la perspective.

Martin Kasper utilise une technique curieuse: la technique à la tempera, un procédé de peinture à la détrempe utilisant des jaunes d’œufs, populaire en Europe durant le Moyen Age. Ce processus est fastidieux et requiert de la patience pour appliquer de petits traits en hachure ou la peinture en glacis (superposition de couches transparentes).
Mais cet effort permet de basculer ces architectures d’une remarquable modernité dans un passé lointain en vieillissant leurs couleurs sourdes et brillantes. Il en résulte des lieux baignant dans une lumière douce, habités par le calme et dégageant une humeur, une latente inquiétude proches de celles des toiles de Edward Hopper. Mais la ressemblance — accidentelle — s’arrête là.

Chez Martin Kasper l’existence de ces lieux est avant tout absurde et vaine. Sans la présence d’un public, leur fonction même est niée, leur raison d’être est remise en question. Pourquoi a-t-on construit et meublé avec soin toutes ces pièces ? Pour en faire un signe extérieur de richesse ? La tradition de ces lieux d’accueil visant à impressionner les visiteurs extérieurs amenés à y transiter perdure depuis des siècles.
N’était-ce pas le but de François Ier qui adapta la salle des Caryatides du Palais du Louvre à l’exercice et la représentation du pouvoir ? Ou celle de Staline lorsqu’il imagina la magnificence des stations de métro de Moscou ? N’est-ce pas le but aujourd’hui des halls des grands hôtels ? Ne juge-t-on pas un médecin selon l’apparence de sa salle d’attente ?
Cette envie de donner une certaine image de sa personnalité et de son importance est mise en exergue par Martin Kasper… sauf que ce public, ces spectateurs potentiels du pouvoir ne sont plus là pour admirer l’autorité du maître des lieux. Et toute cette mascarade apparaît sous l’éclairage du vain et du ridicule, l’existence de l’homme est renvoyée à son état d’épiphénomène, les aspirations à la gloire et la richesse sont avortées dans l’œuf.

Vanité et ambition en prennent un coup devant ce silence, cette absence, ce présage annonçant que tout redeviendra poussière, que tous ces efforts n’ont servi à rien. La série du Zoo vient appuyer cette idée : le spectateur fait face à des cages vides qui lui rappellent douloureusement que ces animaux avaient été emprisonnés pour son propre plaisir, un petit plaisir ridicule.

Martin Kasper :
— Série «Zoo», 2006. Peinture et technique tempera sur toile.
— Série «Salles d’attente et War Room», 2006. Peinture et technique tempera sur toile.

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