ART | CRITIQUE

Peinture 2010 – 2011

PCamille Fallen
@28 Oct 2011

L'enjeu de cette exposition est «la façon dont la crédibilité de la peinture peut être maintenue face au développement récent de la technologie des médias et de la culture numérique» (Benjamin Buchloch). Questions de preuves non pas exactement de l’existence de la peinture mais de sa valeur et de sa survie.

Au centre de la galerie Marian Goodman, l’architecture de Six Standing Glass Panes, panneaux de verre assemblés parallèlement dans une structure d’acier, voit se ranger dans son orbite rigoureuse et tranchante la série les Périzade (obtenues en versant aléatoirement de la peinture sur des plaques de verre) et Strip, une série de grands tirages numériques.

Chaque Strip combine un choix de différentes bandes obtenues par la division verticale, à l’aide d’un logiciel, d’une peinture de 1990, Abstract Painting (724-4). Division d’abord en 2, puis en 4, 8, 16, 32, jusqu’à obtenir 8190 bandes. Cette fois, rien de figuratif, en apparence, en regard des œuvres abstraites.

Si la peinture est menacée de perdre toute crédibilité, Gerhard Richter, accompagnant avec une exigence radicale la déconstruction de celle-ci, la somme ici de témoigner de ce qui peut encore rester d’elle, en la poussant dans l’aridité de ses ultimes retranchements, là où sont épuisés tous ses possibles.

Familier de la problématique du miroir noir qui renvoie au Lorrain, Gerhard Richter a utilisé le verre dès 1967, mais c’est depuis 2002 qu’il expose des constructions semblables, dérivant cette fois du «miroir transparent».
Aujourd’hui, à travers le verre, nous ne verrions donc plus comme dans un miroir, de manière obscure ou voilée, mais face à face: la mort de Dieu, de la peinture, de plus d’une apocalypse annoncée ou consommée dans l’histoire, dont celle de l’histoire elle-même.

Dans ce face à face entre la peinture et le reste, à l’issue de cette odyssée, l’artiste a pourtant fait surgir une sculpture qui, pour être transparente, n’en finit pas moins, à son tour, par être énigmatique. Permettant, à travers ses panneaux de verre parallèles ou dans la découpe de leurs intervalles libres de voir de tous côtés les autres œuvres, les visiteurs et l’espace de la galerie, cette architecture prend en effet des allures de géométral de toutes les perspectives objectives et sensibles.
À bien la regarder et à bien voir au travers, cette architecture finit ainsi par apparaître comme un logiciel optique qui démontre que voir, c’est agir et qu’il n’y a de vide, de transparence et de reflet qu’à travers des positions et des décisions dans des constructions.

Ainsi, l’architecture de Six Standing Glass Panes offre-t-elle un dispositif conjuguant une grammaire perceptive géométrique et un vocabulaire ordonnant une série d’actes opérationnels (voir, couper, découper, intercaler, copier, monter, etc.) qui appartiennent aussi bien au travail de Gerhard Richter qu’au cinéma ou à la culture numérique.
Cube dont l’impensable circonférence est partout et le centre nulle part, ce logiciel perceptif fait tenir ensemble des dimensions hétérogènes, l’actif et le passif aussi bien, tout en invitant le regard aux traversées, aux voyages et aux chemins de traverses, quelquefois coupés ou coupants.

Si Gerhard Richter a pu dire qu’il peint comme un appareil photographique, Six Standing Glass Panes en appelle nécessairement à l’émulsion, au mélange de substances non miscibles. Présentant leurs chaos de couleurs mêlées, les Perizade attestent de la jetée de dés non plus numériques mais liquides et vivants sur les plaques de verre, promesse ou preuve de la peinture par la peinture elle-même. Tandis que la série Strip décline une divisibilité obstinée, un désir de disséquer, de démembrer, d’approcher méthodiquement et mathématiquement le secret de l’ineffable ou de l’impossible création picturale.

Gerhard Richter dit procéder par destruction à travers l’acte de peindre. Or, détruire, dans son cas, c’est aussi construire et diviser, multiplier. Tandis que des motifs sont apparus à travers la division d’Abstract Painting (724-4) répétée en miroir, c’est le procédé organique de la division cellulaire qui se reflète à travers Strip, comme l’ensemencement de nouveaux possibles à travers les coulées de Perizade.

La peinture, selon Richter «une démarche compliquée pour approcher la vérité» résiste à être encore comme à disparaître. Et par là, reste.
À moins qu’elle ne vienne de renaître imperceptiblement là où sa crédibilité repose peut-être sur un dernier acte: un acte de foi ou un agencement savant entre hasard et nécessité.

Å’UVRES
— Gerhard Richter, 6 Standing Glass Panes (879-5), 2002-2011. 6 vitres en verre, acier. 252 x 238 x 281 cm

6 éléments (920-1) à (920-6)
— Gerhard Richter, Strip (920-1), 2011. Tirage numérique sur papier monté entre de l’aluminium et du perspex (diasec). 160 x 300 cm

12 éléments (916-1) à (916-12)
— Gerhard Richter, Perizade (916-1), 2010. Laque sous verre, monté sur Alu Dibond. 56,7 x 40,6 cm

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