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Pedro Cabrita Reis

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@20 Déc 2011

Artiste incontournable de la scène portugaise et internationale depuis près de trente ans, Pedro Cabrita Reis sait unir l'âme et la matière. Par une œuvre protéiforme il matérialise le temps, restructure l'espace, sublime l'étape de construction. Il étudie également le paysage à travers le clair-obscur et la couleur. Son œuvre dépouille le réel et l'épure jusqu'à l'abstraction.

Pedro Cabrita Reis regarde au-delà du superficiel et perce à jour la nature profonde des choses. Comme un enfant goûtant l’art pour la première fois, il dépasse la simple perception rétinienne et voit la matière plutôt que la peinture, la structure plutôt que la sculpture, la métaphore plutôt que le concept. Son travail, habituellement monumental, est pourtant à la galerie Nelson-Freeman fixé aux murs et de taille modeste.

Seule exception à cet accrochage, A Lifetime #2 (Toute une vie) est un assemblage imposant de tubes d’aluminium carrés creux et soudés grossièrement à l’étain, recouverts partiellement d’orange. Les conduits figurent une ville futuriste, une planète fantastique, un parcours cognitif. Le titre suggère qu’il s’agit d’une matérialisation du temps et de l’espace — de la durée de vie et des chemins parcourus. La sculpture forme verticalement et horizontalement un labyrinthe existentiel aux cheminements infinis.

A l’étage Les Oranges lui font écho. Sur une peinture claire et épaisse, une photographie noir et blanc en quatre exemplaires est collée horizontalement et verticalement, à l’endroit et à l’envers, dans différentes positions. L’image montre le temps de construction de A Lifetime et les assistants s’affairer dans l’atelier. Le rappel à la sculpture est fait par quatre ronds orange enchevêtrés, tel un totem graphique. Pedro Cabrita Reis souligne là l’importance du temps de la réalisation, et lui rend hommage alors que la tentation est grande de n’apprécier que l’Å“uvre achevée.

L’artiste procède à une mise en relation des Å“uvres de l’exposition. Un duo de tableaux présente ainsi, entre abstraction et figuration, la série Untitled Landscapes: un paysage bucolique flou, un plan d’eau, les reflets d’une verdure luxuriante, etc. La peinture est faite d’épaisseur, de larges coups de pinceaux, de contrastes, d’une dominante verte rehaussée de touches roses et jaunes.
Pedro Cabrita Reis a su capter la sensibilité du paysage, ses couleurs et le langage de la lumière. L’intuition créative jaillit, la spontanéité du geste véhicule une grande charge émotionnelle. Selon Albert Camus, dans L’Homme révolté, «aucun art ne peut refuser absolument le réel», c’est ce que reflète ces deux apparentes abstractions d’où le réel surgit et surprend.

The Building Drawings #17, un papier de presque 4 mètres de long, évoque une frise chronologique, un plan d’architecte ou un cahier d’écolier à remplir. Une forme gouachée grise y fait office de cartouche en attente d’un titre tandis qu’en dessous un quadrillage tracé nerveusement au graphite est un tableau à compléter.
C’est encore le commencement qui est mis en valeur plutôt que la finitude. Les phases préparatoires semblent laisser le temps en suspens, potentiellement pour l’éternité, alors que l’Å“uvre terminée, plus angoissante pour l’artiste, incarne un temps fini à jamais. Pedro Cabrita Reis voit ainsi l’Å“uvre comme une représentation de la vie.

En résonance, Un horizon probable fait se côtoyer deux tableaux à la mine de plomb encadrés séparément. Une ligne mouvementée, exécutée rapidement marque feuilles et maries-louises et passe visuellement du cadre vertical au cadre horizontal. La ligne d’horizon est la première trace nécessaire au montage d’une perspective, à l’ébauche d’un dessin, et appartient elle aussi au temps de la construction. Le trait évoque également un chemin de vie, un électroencéphalogramme, une ligne de la destinée sur la paume de la main.

La matière intéresse aussi Pedro Cabrita Reis. Dans Les Bleus #1 et Les Verts #1, deux panneaux publicitaires en métal et verre servent de cadre à des toiles brutes recouvertes d’une épaisse couche d’acrylique colorée. Le médium étalé à la spatule est devenu presque plastique; il envahit la toile, suggérant un tsunami pictural recouvrant tout sur son passage et ne laissant à nu qu’une bande de lin horizontale ou verticale.
En défendeur de la peinture, Pedro Cabrita Reis pointe avec légèreté les affiches publicitaires devenues modèles dominants et concurrents de l’art, et les recouvre, dans une ultime tentative, de cette substance noble qu’est la peinture.

Pour finir, Metal Landscape étudie la structure du triptyque en la dépouillant de tout artifice, de tout superflu. Le triptyque, forme traditionnelle dans la peinture religieuse, faisait référence à la Sainte-Trinité catholique.
Les trois supports utilisés ici sont des panneaux en métal récupérés, rouillés, usés, écaillés. Seul le squelette du triptyque est montré et pourtant la spiritualité se ressent incontestablement.
Pedro Cabrita Reis affirme le pouvoir de la forme, il prouve combien, au-delà du visible, le perceptible touche profondément. Le titre évoque le paysage mais c’est l’âme du décor qui est représentée. L’Å“uvre s’accorde à The Aluminum Monochromes #18, peinture sillonnée, épaisse, noire, visqueuse sur des tubes d’aluminium collés et qui dégage également une immanence pure.

Dénicher, extraire l’essence des choses puis la retraduire plastiquement, voilà la volonté de Pedro Cabrita Reis… Si son Å“uvre va au-delà de la description et de l’interprétation, dépassant les dualismes figuration/abstraction ou concept/forme, c’est que ses pièces retranscrivent l’intensité.
Il n’est pas dans le superlatif mais dans la formulation brève et saisissante. Son inspiration prend sa source dans le réel dont il dévoile l’essence profonde, ce qui donne à son travail une aura particulière.

Å’uvres
— Pedro Cabrita Reis, A Lifetime #2, 2011. Laque sur aluminium. 156 x 218 x 141 cm.
— Pedro Cabrita Reis, The Untitled Landscapes #34, 2011. Acrylique sur toile. 50 x 50 cm.
— Pedro Cabrita Reis, The Building Drawings #17, 2011. Technique mixte sur papier. 135 x 391,5 cm.
— Pedro Cabrita Reis, Les Verts #1, 2011. Aluminium, double vitrage, acrylique sur toile. 171,5 x 121,5 x 13,5 cm.
— Pedro Cabrita Reis, The Aluminium Monochromes #18, 2011. Acrylique sur aluminium. 64 x 49 x 12 cm.
— Pedro Cabrita Reis, Un horizon probable, 2011. Mine de plomb sur carton. 58 x 105,5 cm.
— Pedro Cabrita Reis, Les Oranges, 2011. Collage, gouache, crayon sur carton. 35 x 64 cm.
— Pedro Cabrita Reis, Les Bleus #1, 2011. Aluminium, double vitrage, acrylique sur toile. 35 x 64 cm.
— Pedro Cabrita Reis, Metal Landscape, 2011. Etagères métalliques de récupération. 90 x 21 x 238 cm.
— Pedro Cabrita Reis, The Untitled Landscapes #44, 2011. Acrylique sur toile. 90 x 90 cm.

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