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Paysages français

PPierre-Évariste Douaire
@12 Jan 2008

"Paysages français" est une série de photographies très construites et très ordonnées. Les paysages se déclinent sur un schéma identique : une langue de terre surplombée d’un ciel immense. Ces grands aplats évoquent moins les peintres français du XVIIe siècle que le prestigieux jardinier Le Nôtre. Les photographies de Zimmermann écrivent une cartographie du jardinier.

Adepte des façades d’immeubles et plus généralement d’un travail sur l’architecture, c’est tout naturellement que Xavier Zimmermann aborde le paysage sous une forme rigoureuse. Ses compositions sont faites au cordeau, à l’aide d’un niveau il tire des traits sur l’horizon. Le sol vient lécher le cadre et le ciel immense s’amarre sur cette langue de terre sur laquelle les arbres sont disposés régulièrement comme des poteaux télégraphiques.
Dans les photos aucun mouvement ne trahit le calme pastoral de cette campagne minimale, tout semble tracé, dessiné, orthonormé. Le hasard n’a pas sa place, le paysage est avant tout une composition.

Le regard porté sur les plaines n’est pas celui d’un peintre mais bien celui d’un photographe. Le travailleur de la terre laboure son champs, paysagiste avant l’heure, les bosquets et les bois lui servent d’équerre pour tracer des frontières. Le laboureur et le photographe font le même métier, tous les deux travaillent à une sorte de cadastre. Il faut ordonner, classer, niveler.

Le chasseur d’image est un topographe typographe. Écrivain champêtre public, ce cyclope mécanique se transforme en scribe de la lande, en greffier du terroir. Les images présentées ne tombent pas dans le documentaire, elles ne cherchent pas à expliquer, à donner la parole, elles tentent juste d’ordonner tout cet espace. Loin de toute objectivité le travail du photographe se veut cartographique.

La série « Paysages français » se réclame de la peinture. Le travail apporté au jeu de la couleur et des textures l’éloigne de la photographie, à première vue seulement, le spectateur peut se croire devant un tableau hyperréaliste. La facture est très proche de celle qu’emploie Richter pour peindre à l’huile ces mêmes paysages sur toile. On peut croire encore que la photographie a été retouchée, rehaussée de couleur, mais rien de tout cela, la photographie est authentique, la prise de vue normale, l’appareil est un moyen format.

Toutefois, mis à part le rendu particulier — parfois même dérangeant (est-on face à une peinture ou face à une photo ?) — les références que l’on peut observer dans ces grandes compositions ne sont pas celles d’un peintre, mais plutôt celle d’un laboureur, d’un topographe ou d’un jardinier. Il faut voir ces trois corps de métier sous un angle artistique. L’art contemporain a désormais réservé une place de choix à l’art végétal éphémère et à la cartographie.

La nature que dessine Zimmermann à moins à voir avec celle que peint les Poussin et Lorrain, que celle dressée par Le Nôtre et cultivée par La Quintinie (il a réalisé le potager de Versailles pour Louis XIV). En photographiant au bord du cadre, en rendant la terre gracile, en laissant le ciel remplir tout l’espace de la composition, le photographe se transforme en jardinier. La révolution du jardin à la française du XVIIe siècle correspond à la rationalisation de la peinture pendant la Renaissance italienne. La peinture méprisée par les philosophes grecs, reléguée au rang d’art mécanique, devient, grâce à la perspective, un art libéral. Le peinture est cosa mental comme le répète Léonard, elle devient scientifique comme le défend Vasari dans De la peinture en 1435.

Les époques changent, maintenant les photographes veulent être des peintres, et les peintres rivalisent avec la photographie. En prenant un peu de recul, il faut considérer les « Paysages français » de Zimmermann dans ce mélange des genres. Ses grandes compositions photographiques sont comme les jardins à la française : elles ont un cadre, des limites, une géométrie, le tout est d’abord pensé puis dessiné ; le plan est omnipotent, il régente l’espace, le regard qui domine est la vue aérienne. Dans les deux cas l’espace est rationalisé, compartimenté, mesuré pour ensuite donner un tableau d’ensemble. En bon cartésien il faut absolument tout rationaliser, le hasard et la surprise n’ont pas leur place dans ce monde ou l’œil est roi. 

Xavier Zimmermann :
— Villa Médicis Villa(s) 5, cat. exp., Rome, 1994.
— Escale du Regard, cat. exp., Académie de France à Rome, Carte Segrete, 1995.
— Xavier Zimmermann, Façades, 1997.
— Xavier Zimmermann, Photographies, Bibliotèque nationale de France 1998.

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