ART | CRITIQUE

Paysages ahah

PLaura Bazalgette
@07 Nov 2009

Bernard Voïta compose des tableaux photographiques absolument plastiques et picturaux. La surface devient un volume, les objets sont déplacés de leurs fonctions et les images sont autant d’architectures fabriquées et élaborées.

Pour son exposition «Paysages Ahah», Bernard Voïta présente à la galerie Jean Brolly un ensemble de photographies en noir et blanc et utilise, pour la première fois, la couleur.

«Ahah» ou «haha» est une interjection qui existe depuis le XVIIIe siècle pour designer une surprise ou un événement dans un jardin. On prétend que le fils de Louis XIV, dit le Grand Dauphin, a fait donner ce nom à cette sorte d’ouverture qu’il aperçut pour la première fois dans les jardins de Meudon, et au sujet de laquelle il s’écria dans sa surprise: «ah ! ah !». Il s’agit en réalité d’un artifice visuel, d’un fossé creusé entre le jardin et le paysage alentour supprimant ainsi la coupure entre le jardin (lieu privé) et le paysage (espace public).

Composant des images formelles et minimalistes, Bernard Voïta invente un vocabulaire photographique et plastique, et questionne la friction entre le réel et l’artifice, ce que l’on voit (ou croit voir) et ce qui est vraiment.
La superposition de deux images, l’une, imprimée sur verre (une photo trouvée représentant une vue d’extérieur), l’autre sur papier (une photo construite dans l’atelier à partir de matériaux de récupération) produit un effet d’étrangeté et une mise en volume du tableau photographique.

L’illusion opère sur le regardeur qui ne peut tout à fait reconstruire l’image, son origine, sa source. De tout cela reste une impression de pure fabrication, de bricolage, de désordre. Saisissantes de par leurs cadrages, les photographies de Bernard Voïta deviennent des objets étranges non identifiables. Les filtres déposés sur les images, telles des pellicules très fines, disent tout un espace mental et virtuel.

Assemblages d’objets divers (des chaises, du matériel photographique, des pièces détachés, des ustensiles, etc.) ramassés dans la rue et finement agencés afin de composer de micro-architectures, vision en vert et rose d’un extérieur insituable, l’artiste manipule les codes de la mise en représentation. Ses images sont autant de mises en scènes élaborées et irréelles.

Jouant des perspectives et des échelles, du contraste entre le flou et le net, l’œuvre de Bernard Voïta s’explore, se parcourt du regard et questionne nos rapports à l’espace. La tridimensionnalité surgit des profondeurs de champ et des lignes de fuites, et la zone photographiée devient un espace fictif très construit, labyrinthique même. Véritables paysages colorés, les photographies sont des objets sculpturaux et charnels. Et cela malgré l’absence d’humains, de corps chauds.

Avec humour et poésie, Bernard Voïta modifie nos perceptions immédiates. Les objets déplacés de leurs fonctions initiales deviennent les protagonistes de fictions composées et élaborées par l’artiste. Brouillant les pistes et le regard du spectateur, l’œuvre de Bernard Voïta agit et questionne l’endroit même de la photographie.

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